Rigel, plus qu’un symphoniste

La soprano Magali Simard-Galdès Arion et le chef Mathieu Lussier à la salle Bourgie lors du concert Rigel: le souffle de la Révolution
Photo: Guillaume Gobain La soprano Magali Simard-Galdès Arion et le chef Mathieu Lussier à la salle Bourgie lors du concert Rigel: le souffle de la Révolution

L’orchestre baroque Arion et son directeur artistique, Mathieu Lussier, présentaient en cette fin de semaine « Rigel : le souffle de la Révolution », programme entièrement consacré à Henri-Joseph Rigel, compositeur allemand né en 1741, mais ayant fait sa carrière en France de 1767 à sa mort, en 1799. La découverte valait le détour.

Souvent nous ne mesurons pas notre chance. Directeur artistique du Centre de musique baroque de Versailles (CMBV), qui reconstitue et édite des partitions françaises rares des XVIIe et XVIIIe siècles, Benoît Dratwicki, de passage à Montréal, nous disait à l’entracte : « Jamais un tel programme n’aurait pu être monté à Paris. »

Eh oui, les promoteurs parisiens auraient été paniqués par un programme entièrement consacré à Rigel. Il serait important de se rendre davantage compte de l’audace et du courage de nos musiciens et directeurs artistiques d’ici, car, cet automne, certaines salles, en matière de remplissage, font peine à voir.

Compositeur lyrique

 

Cela posé, au début, on craint le coup pour rien. À travers l’anodine Symphonie en sol de 1774, qui ne décolle que dans le dernier mouvement, Rigel apparaît comme une sorte de chaînon entre Christian Cannabich et Paul Wranitzky. Ignorer un tel maillon n’allait pas nous empêcher de dormir. La déception était entérinée par deux airs subséquents pourtant très bien chantés par Magali Simard-Galdès, dont la voix prend de l’ampleur dramatique, et le ténor Nicholas Scott, inconnu ici, un timbre clair, une voix très bien placée, d’une grande efficacité.

Le concert est allé heureusement crescendo pour nous convaincre in fine de la pertinence de la redécouverte. Rigel est ainsi un compositeur lyrique qui fait dresser l’oreille. Il semble connaître la production mozartienne. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que la France de l’après-Rameau a vu passer entre 1774 et 1779 le génie Gluck. Le grand nom lyrique des années 1780 et 1790 en France est André Grétry, mais la majorité des airs entendus (notamment l’air de Pauline « Ah ! Quel supplice extrême ! ») et le duo « Ô mon ami, c’est ton amour » d’Alix de Beaucaire donnent vraiment envie d’en savoir davantage sur Rigel compositeur lyrique. La manière de faire relayer les doutes des protagonistes par l’orchestre dans le duo précité est tout à fait remarquable. Même constat positif pour l’ouverture en deux parties de la comédie pastorale Blanche et Vermeille, dont la seconde partie est un joyau mélodique.

Forme originale

 

Avec les oeuvres pour pianoforte, Rigel fait aussi preuve d’originalité. Pas tant dans le Concerto en fa majeur, très bien écrit dans la veine des fils de Bach, mais sans la grâce de Mozart. Le clou du spectacle était plutôt la seconde des Trois Symphonies pour le clavecin ou le forte-piano, op. 16. Il s’agit là d’une forme astucieuse, une partition qui peut être jouée par le piano seul ou avec orchestre. Ce dernier double le piano ou joue des pédales (notes tenues, notamment par les cors) sous ses ornements. C’est très original et, dans le présent cas, d’une efficace inventivité mélodique.

Dans le second mouvement qui semble être un simple thème répété, il aurait peut-être été amusant de l’entendre une fois exposé au piano seul puis embelli par l’ajout de l’orchestre. L’ensemble a été très bien géré par Mélisande McNabney et Mathieu Lussier avec un pianoforte aux couleurs parfaites. Arion n’a pas toujours été au meilleur de sa forme, samedi, avec des violons hétérogènes notamment dans le 2e mouvement du concerto, mais tout cela se replacera dans l’enregistrement du disque en début de semaine.

Ce dernier sera plus diversifié que le CD de 2009 du Concerto Köln chez Berlin Classics, un choix de cinq symphonies qui avait ressuscité le nom de Rigel comme Concerto Köln l’avait fait pour Joseph Martin Kraus, puis Durante, Rosetti, Dall’Abaco, Eberl, Wilms et quelques autres. Avec Rigel nous sommes, pour l’heure, très loin du choc Kraus ou de la révélation Eberl ou Wilms, mais plutôt dans le registre de la résurrection bienvenue.

Rigel

Henri-Joseph Rigel (1741-1799) : Symphonie en sol majeur, op. 12 no 2 (1774). Airs extraits de Pauline et Henri, trait historique mêlé de musique (1793) ; Alix de Beaucaire, drame lyrique (1791) et Blanche et Vermeille, comédie pastorale (1781). Concerto pour pianoforte en fa majeur (v. 1770-1775). Sonate II pour pianoforte en ré mineur, tirée de Trois Symphonies pour le clavecin ou le forte-piano, op. 16 (1783). Mélisande McNabney (pianoforte), Arion, Mathieu Lussier. Salle Bourgie, 5 novembre 2022. Concert réalisé en collaboration avec le Centre de musique baroque de Versailles.

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