Les beaux restes de Pink Floyd

L’expostion fait vivre une «expérience immersive».
Non, il n’y a pas de petit tas de crachat rogerwatersien. On a cherché. Pas de bocal, façon cerveau d’Einstein dans le formol. Pas de cryogénisation de raclage de gorge non plus : on n’est pas chez Walt Disney, qui était propre de sa personne au moment de se congeler les sécrétions pour l’éternité. Et personne n’a osé demander à Roger Waters ni à sa victime une reconstitution du crime.
D’autant que l’histoire a changé de coupable. Comme on n’a pas manqué de le préciser jeudi matin lors de la conférence de presse où l’on présentait aux médias l’exposition Pink Floyd. Their Mortal Remains, c’est ce pauvre hypersensible de Waters, exaspéré par les fans turbulents, qui aurait eu un haut-le-coeur et décidé de cracher sur un fan, la fameuse fois. Au Stade olympique de Montréal. Le 6 juillet 1977. Devant 80 000 spectateurs noyés dans la bouillie sonore projetée par les amplis géants. « Roger a perdu la tête », résume Nick Mason lui-même en personne, vrai de vrai batteur de Pink Floyd et consultant officiel du groupe dans l’organisation de l’exposition.
Une relation durableavec Montréal
On fait grand cas de ce « moment historique » dans la présentation, comme si Montréal devait se gaver de fierté pour avoir inspiré à Waters l’image d’un mur entre le public et lui au point d’en ériger le double album The Wall. Encore heureux que Michael Cohl, producteur de l’exposition, et Guy Laforce, d’Arsenal art contemporain, aient pris soin de rappeler que les liens entre Pink Floyd et Montréal s’étalent sur cinq décennies, à commencer par le show du CEPSUM, le 9 novembre 1971 : un sac souvenir donné aux journalistes fournit la liste complète des passages du groupe en ville. Remarquez, lorsqu’on demande à Nick Mason quel est son meilleur souvenir de Montréal, c’est le spectacle tout récent de son Nick Mason’s Saucerful of Secrets (au St-Denis le 11 octobre dernier) qu’il souligne. Et c’est la mauvaise ambiance de toute la tournée 1977 qu’il blâme.
Tout le tour de la Lune
Et l’exposition dans tout ça ? On finirait par l’oublier, à patauger ainsi dans le vieux jus. Extraordinaire parcours, émouvante collection de « mortal remains ». De très, très beaux restes. S’il ne manque pas d’écrans et de trouvailles visuelles pour faire vivre « l’expérience immersive » (dixit le communiqué) désormais incontournable dans le monde muséal (dont le mythique son et lumière psychédélique à l’UFO de Londres en 1967), c’est la quantité phénoménale d’artefacts qui stupéfie. Lire une lettre enthousiaste de Syd Barrett à son amoureuse Jenny Spires, écrite en 1965 à propos de son nouveau groupe, émeut tout le monde, et pas seulement les fans obsessifs du génie créatif que le LSD rendit fou.
Il y a des bandes maîtresses d’EMI qui donnent le frisson (Apples and Oranges ! ), de fabuleuses machines à réverbération Binson Echorec qu’on aurait envie de brancher, des consoles bizarres, des affiches, des extraits d’agendas, des contrats (notamment avec NEMS, la compagnie du Brian Epstein des Beatles), les divers claviers utilisés par le très regretté Richard Wright (avec les précisions nécessaires pour léviter : le Farfisa dans telle chanson, le Fender Rhodes dans telle autre), des croquis de pochettes, etc. Aubrey Powell, dit Po, concepteur chez Hipgnosis, est d’ailleurs aux côtés de Nick Mason pour en parler. Sa création de pochette préférée ? Non, pas celle qu’il proposa parmi d’autres pour The Dark Side Of The Moon. Plutôt sa photo au recto de Wish You Were Here : « Ce n’est pas tous les jours qu’on met quelqu’un en feu… »
Une suggestion de Nick Mason
Oui, oh que oui, ça vaut le prix d’entrée, pourtant gratiné (double fromage la fin de semaine). Ce n’est certes pas une sortie familiale, mais les fans de toutes époques et de tout le répertoire seront comblés, d’Arnold Layne à la nouvelle chanson créée en appui à l’Ukraine (en synchro avec un chanteur ukrainien). Au grand déplaisir de Roger Waters, complotiste notoire, un pro-Poutine qui justifie l’invasion russe. « Il a encore perdu la tête », commente laconiquement Mason, pas peu fier d’avoir fait « la chose qu’il fallait faire ».
« David [Gilmour] et Roger ont toujours eu le don d’être diamétralement opposés. » Quant à l’affaire du Stade en 1977, Nick Mason a une solution pour en finir : « Je suggère à tous ceux qui étaient présents ce soir-là de se prendre un avocat, et de réclamer leur part en écrivant directement à Roger. » Avec leur salive sur le rabat.