Avec «(nu.e.s)», les Rugissants se découvrent

Dans son spectacle, l’ensemble vocal dévoile l’intimité, la vulnérabilité et la sexualité de ses membres.
Marie-France Coallier Le Devoir Dans son spectacle, l’ensemble vocal dévoile l’intimité, la vulnérabilité et la sexualité de ses membres.

La musique classique n’a pas l’habitude des effeuillages. Et dans ce monde aux codes souvent rigides, on dévoile rarement sur scène les corps nus, sexués, transsexués ou asexués, désirés, désirants ou désirables, qui abritent des voix divines.

Pour le spectacle (nu.e.s), présenté gratuitement samedi à la Maison de la culture Janine-Sutto, le directeur de l’ensemble vocal Les Rugissants, Xavier Brossard-Ménard, a choisi d’oser. Oser miser sur l’intimité, la vulnérabilité et la sexualité des sept membres de son ensemble.

Traditionnellement, Les Rugissants explorent davantage le répertoire classique, explique M. Brossard-Ménard en entrevue. Mais pour l’occasion, l’ensemble va résolument traverser les genres. Dans tous les sens du terme. Avec costumes, vidéos et mises en scène, on passera de Georges Bizet à Serge Gainsbourg, de d’Henry Purcell à Michel Berger et Lady Gaga.

L’équipe a dû faire face de nombreux imprévus, dont l’absence (pour cause de COVID-19) de la soliste invitée Rose Naggar-Tremblay, consacrée révélation de l’année en musique classique par Radio-Canada en 2022. Par un habile jeu de rôles qui cadre tout à fait avec le propos du spectacle, la mise en scène a placé in extremis l’enregistrement de sa voix d’ange dans un corps masculin afin de livrer Près des remparts de Séville, de Bizet, en ouverture.

Mais c’est sans doute avec Je t’aime… moi non plus que l’ensemble brise vraiment la glace, réinterprétant le classique de Gainsbourg pour six voix toutes plus languissantes et audacieuses les unes que les autres. Alors que l’explosion d’une canette de soda mimera l’orgasme dans ce torride air populaire, les six chanteurs ne sont plus des inconnus. De scène en scène, ils se dévoileront de plus en plus, physiquement et émotivement, nous conviant du coup à une fête sensuelle et jouissive, loin des complexes et des qu’en-dira-t-on.

Ce spectacle, comme plusieurs autres qui ont abordé de front la sexualité en cette saison d’automne, arrive un peu comme un baume après les années de pandémie loin des contacts tant physiques que sociaux, confinées derrière des écrans sans chaleur et sans odeur. Il avait pourtant été imaginé dès 2018, dit le directeur artistique du choeur en entrevue.

Après avoir présenté le spectacle Voces de España, Xavier Brossard-Ménard estimait qu’il manquait quelque chose à l’ensemble : « La vulnérabilité qu’ils se montrent, eux. » Et pour cela, il fallait explorer « les zones de confort et d’inconfort », poursuit-il.

« Le spectacle est fait pour explorer les limites », dit-il, et du même souffle, il éclaire la notion de consentement. À la toute fin, lorsque se dénouent les peignoirs, chacun aura décidé de ce qu’il veut bien montrer… Pour les uns, il s’agira de baisser une bretelle ; pour les autres, de se mettre complètement à nu, explique le directeur.

Sur le plan musical aussi, (nu.e.s) traverse les genres. Et on passera ici du très festif Fever, de Peggy Lee, à une interprétation particulièrement austère de You Want It Darker, de Leonard Cohen, en passant par un très bel arrangement de Les uns contre les autres, de Michel Berger, ou de Lamento della Ninfa, de Claudio Monteverdi.

Le tout s’inscrit aussi dans la mission du choeur Les Rugissants, soir « d’explorer de nouvelles formes pour la musique classique », clame Xavier Brossard-Ménard. Les Rugissants ont notamment travaillé à la production de vidéoclips de musique classique, et préparent un projet pour l’intégration de la musique dans l’architecture.

« J’adore la musique en général, et la musique classique me parle », dit-il, ajoutant que cette forme d’expression « profondément actuelle » est l’objet d’« une forme de snobisme qui ne nous sert pas ».

(nu.e.s)

De l’ensemble vocal Les Rugissants. Le 29 octobre, à la Maison de la culture Janine-Sutto, Le 3 novembre au Théâtre Paradoxe

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