«Arboretum» et «Flore Laurentienne II»: la double récolte de l’automne

Étienne Dupré et Mathieu David Gagnon se connaissent depuis longtemps. Ils ont travaillé ensemble et font partie d’une «famille de musique». 
Photo: Julien Cadena Le Devoir Étienne Dupré et Mathieu David Gagnon se connaissent depuis longtemps. Ils ont travaillé ensemble et font partie d’une «famille de musique». 

Ils ne se sont pas concertés. La nature est ainsi faite, l’industrie du disque aussi : chaque semaine apporte sa récolte de nouveautés. Fruits mûrs, arbres en fleurs, départs d’oiseaux migrateurs. Quand c’est le moment de lancer un album, c’est le moment, que l’on saisit. Pourtant, ce qui se passe cette semaine est absolument étonnant, renversant, merveilleux… et parfaitement naturel.

Duu, Étienne Dupré au civil, offre à l’univers son Arboretum, livre et disque célébrant ce que le multi-instrumentiste décrit dans son introduction comme son « amour des végétaux, qui se manifeste surtout dans ce qui se trouve autour de nous sans que l’action humaine soit concernée. » Il ajoute, pour être bien clair : « En d’autres mots, ce qui pousse tout seul. »

[Mon] amour des végétaux se manifeste surtout dans [...] ce qui pousse tout seul.

 

Mathieu David Gagnon, qui fait corps avec son projet intitulé Flore laurentienne au point de s’en chapeauter, propose de son côté la suite attendue, numérotée à la manière des oeuvres classiques : Flore laurentienne II. « C’est voulu. Les pièces qui ont des chiffres à côté sont caractéristiques d’oeuvres en cours. C’est comme ça que je fonctionne. Chaque volume est le polaroïd de la période de composition, trois mois en 2019 pour le premier, à peu près autant pour le volume deux, en 2020. Nous sommes à l’automne 2022, j’en suis déjà loin, et les pièces ont déjà beaucoup évolué. » Il ne dit pas que ça pousse tout seul, mais c’est tout comme : « À chaque performance, les oeuvres vivent. La musique est un langage. Plus tu parles, plus tu trouves de nouveaux mots. Une pièce de trois minutes peut en durer vingt, selon ce qui la nourrit. »

Familles de musique

 

Les deux créateurs se connaissent depuis longtemps, ont déjà travaillé ensemble, font partie d’une des « familles de musique » du Québec, de la même façon que l’on regroupe les espèces indigènes de la flore en région.

Les deux se réclament de l’oeuvre maîtresse du frère Marie-Victorin, ce Flore laurentienne paru en 1935, le grand inventaire des espèces indigènes des abords du Saint-Laurent. « L’ouvrage le plus précis à ce jour pour connaître la flore québécoise », précise Étienne Dupré. « C’est plus qu’une inspiration commune, renchérit Mathieu David Gagnon, c’est notre matière. Je pense que nous essayons chacun à notre manière de faire parler la nature québécoise à travers notre langage musical. »

Photo: Marc-Étienne Mongrain Mathieu David Gagnon, qui fait corps avec son projet intitulé Flore laurentienne au point de s’en chapeauter, propose de son côté la suite attendue, numérotée à la manière des oeuvres classiques : «Flore laurentienne II».

Et pour chacun, quoique fort différemment, Duu en partant de la chanson folk, du prog, de la musique d’avant-garde, Flore laurentienne liant les orchestrations classiques aux sons des premiers mini-Moog, la destination est un peu la même : chacun cherche à fondre les sons électroniques et les sons naturels en un même être vivant. La musique telle qu’elle est jouée par des humains. Explication de Mathieu David Gagnon : « Avec la première pièce de l’album, Voiles, je pense qu’on a un bon exemple de mariage heureux [rires]. Ça démontre, dans la place accordée à l’espace sonore, l’égalité entre le synthétiseur mini-Moog, les cordes et les clarinettes. Tous sont présentés comme des instruments “nobles”. J’utilise les premiers mini-Moog parce qu’ils ne sont pas parfaits, parce qu’ils sont instables : je dois ajuster les sons à mesure. »

Toutes espèces égales

 

Étienne Dupré, qui joue avec plusieurs formations, en plus d’être le bassiste attitré de Klô Pelgag (en tournée internationale comme en studio), a pareillement réussi une synthèse de toutes ses collaborations en tant que Duu, au service de pièces qui lui sont propres.

On pourrait dire : le substrat de sa mixture de plantes diverses. « Comment me rapprocher de moi, c’était le but. J’aime tous les projets auxquels je participe, mais le risque de me disperser au point de ne plus savoir qui je suis est toujours là. Les musiques des chansons d’Arboretum varient beaucoup d’une pièce à l’autre, mais elles expriment toutes ce que j’ai vécu, les périodes sombres autant que les lumineuses. C’est moi parlant de moi, mais c’est enrichi par tout le monde avec qui j’ai joué et je joue, et ça inclut l’apport de tous les gens que je rencontre. »

La musique est un langage. Plus tu parles, plus tu trouves de nou-veaux mots.

 

Les deux cultivent ainsi leur jardin, à la fois territoire de leur expression toute personnelle et symbole d’une mission. Préoccupations écologiques, environnementales, gestes d’affirmation de qui est intrinsèquement québécois. Des musiques d’appartenance et de partage.

« Si mon album peut donner envie aux gens de se pencher un peu plus sur ces sujets-là, autant la mauvaise herbe qui pousse sur un terre-plein à Montréal qu’un champignon au coeur de la forêt boréale, j’en serai vraiment ravi. D’après moi, Mathieu a ce même lien avec la nature, là où il vit, dans le Bas-du-Fleuve », explique Duu.

La mission commune

 

« Je connais Étienne depuis Caltâr-Bateau, bien avant qu’il devienne le bassiste de ma soeur. » Est-il besoin de dire que Mathieu est le frère de Chloé Pelletier-Gagnon, Klô Pelgag pour ses milliers d’intimes ? « Je pense que plus on vieillit, lui autant que moi dans nos aventures respectives, plus on recherche la simplicité à travers nos musiques parfois complexes, et cette simplicité vient d’une plus grande connaissance de soi. Nos choix artistiques se sont clarifiés, on se pose moins de questions. »

Et la clarté, comprend-on, s’exprime plus que jamais dans le rapport avec la nature, et dans le processus de plus en plus organique de leurs créations électroacoustiques.

« Je pense qu’avec la pandémie, on s’est tous demandé ce qui était important. Étienne autant que moi. Tous les autres aussi. Et tous, on sait maintenant où on se positionne, dans quelle direction on va. Tous, on veut que ça pousse dans le bon sens. »

Klô Pelgag à propos de son frère Mathieu David Gagnon et de Flore laurentienne

Mathieu est probablement l’une des personnes les plus douées que je connaisse. J’ai toujours eu l’impression qu’il avait de la facilité dans toutes les choses qu’il décidait d’entreprendre. Puis avec le temps, j’ai aussi compris à quel point il est travaillant, méticuleux et persévérant il est envers les choses qui lui importent. Certaines de ses mélodies me brisent et m’habitent comme des vérités, comme une évidence. Je l’ai toujours perçu comme un grand artiste, même enfant, j’ai toujours été admirative de mon grand frère dans tout ce qu’il est. C’est sans doute aussi grâce à lui, à sa façon de m’inviter à la musique, à son amitié surtout, que j’ai eu la confiance nécessaire pour m’y aventurer moi-même. Je sais que son oeuvre sera importante. Je souhaite que les gens soient en mesure d’en saisir l’ampleur.

Klô Pelgag à propos de son bassiste Étienne Dupré et de Duu

Quand j’ai rencontré Étienne dans la musique, ça a été pour moi un point de non-retour. Je ne voulais plus jamais ne pas le connaître. Ce qui fait de lui le musicien ultrasollicité qu’il est, c’est non seulement ses qualités de musicien, d’explorateur sonore, de bassiste ultracréatif et de réalisateur, mais également sa personnalité, son charisme fou et son humour. Parce qu’on finit toujours par jouer comme on est. Duu est un être de passion. Faire de la tournée avec lui, c’est le regarder s’étonner devant le roseau sur le bord d’une route ou grignoter du persil de mer. Cet album sera sans doute la réunion de tout ce que j’aime de cette belle gargouille.


Arboretum

Duu, livre et disque, Lazy At Work

Flore laurentienne II

Flore laurentienne, Costume Records



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