Dolman-Rossy-Jobin et le fruit du hasard

Ce projet est né de manière fortuite, raconte le compositeur et batteur Aaron Dolman. Un collègue torontois l’invitait à jouer en première partie d’un de ses concerts. « Il venait avec une formation jazz comprenant batteur, guitaristes, alto. Je me suis dit : qu’est-ce que je pourrais proposer qui serait complètement différent, complètement weird ? » Pourquoi pas un trio batterie et chant, avec Sarah Rossy et Eugénie Jobin, « deux des meilleures improvisatrices en ville » ?
À sa première répétition, le trio faisait déjà des étincelles ; paru en mars dernier, l’album Are You Here to Help?, qui en découle, est un petit bijou. Il sera joué pour la première fois demain, en ouverture du OFF Festival de jazz de Montréal.
« À moins de faire partie d’une chorale, une entité en soi, les chanteuses jazz ne collaborent pas beaucoup », relève Sarah Rossy. Ce qui rend si unique la proposition du trio : les douces voix de Sarah et d’Eugénie, qui tricotent les harmonies inventives de ce premier album tantôt arrimé à une forme chansonnière, tantôt méditatif, les voix soulagées du poids des mots évoquant une musique « à la limite du jazz », décrit simplement Dolman, et de la musique contemporaine.
« Découvrir comment ma voix peut être utilisée comme un instrument, comment occuper différents rôles [durant l’interprétation] et jouer avec la texture de ma voix, comment aussi appuyer ce que font les autres musiciens, tout ça est captivant dans le projet, indique Sarah. En plus, Eugénie et moi avons des voix un peu similaires, alors c’est intéressant de voir comment on peut jouer ensemble, en se mettant en retrait, en prenant une nouvelle position pendant que l’autre chante. »
Eugénie intervient : « On a quand même des personnalités musicales différentes. Pour ma part, j’ai plus l’habitude de chanter avec des gens qui ont des personnalités semblables à la mienne, et c’est pour ça que j’aime travailler avec toi. Ce trio est un beau terrain de jeu. »
Derrière elles, Dolman joue avec nuance, explore le registre de ses peaux et de ses cymbales. « Les percussions et la voix sont les instruments les plus anciens du monde, explique alors la perspicace Sarah. C’est une pratique super ancienne et, pour nous, il y a quelque chose d’intuitif à revenir à ce son, très humain, simple, rythmé », qui, aussi novateur puisse-t-il paraître, demeure ancré dans certaines traditions : la musique ancienne, oeuvres chorales.
« On a fait deux prises »
Tout de suite après cette première répétition pour le concert inopiné, Aaron Dolman s’est mis à composer avec, en tête, les voix de ses amies. C’était la première fois, d’ailleurs, qu’il couchait des notes sur papier. « C’est ça, le but dans ce projet : que l’auditeur ne distingue pas ce qui a été écrit de ce qui est improvisé », hormis évidemment leur reprise d’une chanson de Joni Mitchell. Pour une chanson, Aaron avait simplement écrit les mots ; la mélodie, les harmonies, l’interprétation, tout a été improvisé par Sarah et Eugénie. « On a fait deux prises, complètement différentes, puis on a choisi l’une d’elles pour l’album. »
« J’écoute beaucoup de chanson », dit Eugénie Jobin, qui a lancé plus tôt cette année l’album Bienvenue, sous le nom Ambroise. Ce projet met en musique des textes de Nombreux seront nos ennemis, recueil posthume de la poétesse Geneviève Desrosiers. « J’ai approché la musique d’Aaron comme s’il s’agissait de chansons, avec beaucoup d’improvisation. Y’a une recherche d’équilibre entre les deux, la chanson servant de prétexte à l’improvisation. Il y a quelque chose de tellement dépouillé dans ce qu’on fait à trois, j’y entends le folklore, des compositions modales, la musique ancienne, tout ça a du sens. »
Sarah Rossy travaille de son côté sur un album de chant jazz, orchestral et électronique ; au moment de notre rencontre sur la terrasse d’un café, Aaron était encore sur le coup du décalage horaire, étant fraîchement rentré de Suisse, où, pendant un an, il a pris part à une résidence de création jazz, FocusYear. L’album Are You Here to Help? fut enregistré tout juste avant son départ, en septembre 2021 : « On n’a jamais encore joué cet album devant public! » indique aujourd’hui le batteur, formé en composition et en interprétation à l’Université McGill, tout comme Sarah et Eugénie. Rendez-vous demain, en ouverture de la 23e édition du OFF Festival de jazz de Montréal.
Dolman-Rossy-Jobin se produira le 6 octobre, à 17 h, au St-Henri Jazz Club, situé au 3716, rue Notre-Dame Ouest. L’OFF Festival de jazz de Montréal a lieu du 6 au 15 octobre.