Waahli rend hommage à la diaspora

«Soap Box c’est un pont que je veux construire entre deux époques, tout en célébrant le moment présent», résume Waahli. 
Photo: Marie-France Coallier Le Devoir «Soap Box c’est un pont que je veux construire entre deux époques, tout en célébrant le moment présent», résume Waahli. 

Le nouvel album de l’auteur-compositeur-rappeur montréalais Waahli s’intitule Soap Box. Il s’ouvre avec une complainte nommée Machann, ou « marchand » en créole haïtien. Celle-ci annonce le thème au coeur de cet album coréalisé avec l’ami Boogàt : un hommage aux origines du musicien, au courage de ses parents arrivés à Montréal depuis la perle des Antilles au début des années 1970 pour échapper au régime Duvalier, un hommage à toute la diaspora qui, par son histoire et son courage, dessine l’avenir meilleur. Soap Box, « c’est un pont que je veux construire entre deux époques, tout en célébrant le moment présent », résume Waahli.

« Ça, c’est une belle histoire », s’emballe le musicien lorsqu’interrogé à propos de l’inspiration derrière Machann. « Ce sample vient d’un groupe de musiciens cubains, mais dont les ancêtres sont haïtiens. Il s’appelle Grupo Vocal Desandann — il faut que tu découvres ça, c’est magnifique ! Ces musiciens ne connaissent pas Haïti, mais leur héritage créole a survécu à travers leur musique. Tu le reconnais à leur accent qu’ils ne sont pas haïtiens, mais ils connaissent très bien la musique traditionnelle d’Haïti, et ça me fascinait. Je voulais les échantillonner. »

Waahli a alors pris contact avec la directrice artistique du choeur Desandann, qui a volontiers accepté que le Montréalais emprunte quelques mesures à une de leurs chansons, laquelle « raconte l’histoire de ce marchand ayant choisi de vendre ses bêtes pour subvenir aux besoins de sa famille. Et moi, dans mon texte, je parle plus largement de la diaspora. De mes parents qui ont choisi de quitter Haïti avant ma naissance pour nous donner un meilleur avenir ».

« Je suis né à Montréal », dans le quartier Saint-Michel, voisin des membres de Muzion, rappelle Waahli. « Je suis un fils d’immigrants. J’ai eu des occasions que mes parents n’ont pas eues. Ils m’ont légué cette culture créole ; bien sûr que j’adhère à la culture québécoise puisque je suis né ici. Je suis Québécois, mais mon identité est étroitement liée à la culture haïtienne dans laquelle j’ai grandi. Il est important pour moi de refléter cette identité dans mon album parce que j’aimerais d’abord qu’il parvienne à commencer à abattre le mur des langues et que les gens l’écoutent en se disant : “Je ne comprends pas tout ce qu’il raconte, mais j’aime ce que j’entends.” Je veux susciter la curiosité. »

Je suis un fils d’immigrants. J’ai eu des occasions que mes parents n’ont pas eues. Ils m’ont légué cette culture créole ; bien sûr que j’adhère à la culture québécoise puisque je suis né ici. Je suis Québécois, mais mon identité est étroitement liée à la culture haïtienne dans laquelle j’ai grandi.

 

Cette volonté se traduit dans la facture musicale de Soap Box. Waahli le rappeur, cofondateur du collectif fusion rap-soul-jazz-reggae (et plus si affinités) Nomadic Massive, fait un pas à côté du hip-hop pour explorer d’autres grooves, d’autres rythmes, et chanter plus qu’il ne l’avait fait auparavant. La collaboration avec Boogàt, acolyte d’Alaclair Ensemble ayant depuis plusieurs années établi sa notoriété sur la scène musicale d’Amérique latine — il est né à Québec de parents d’origines paraguayenne et mexicaine —, a porté ses fruits : sa vision musicale, imbibée de rap, de reggaeton, de salsa, de cumbia, a percolé dans le son de Waahli.

« Boogàt a une conscience dans son art, ainsi que la maîtrise de son art, commente Waahli. Il est capable de reconnaître le potentiel d’un collaborateur et, à travers le projet de celui-ci, son propre potentiel en tant que réalisateur. Il se donne un défi autant qu’il m’en donne, c’est ainsi que je vois notre relation. Ensuite, on a dû apprendre à se connaître, c’est clair, on est deux fortes têtes. Ça s’est bien déroulé. J’aime me faire challenger, me faire dire : “Essaie donc ça plutôt”, tu vois ? »

La chimie, à l’évidence, a opéré : Soap Box est ravissant. Paradoxalement, en jouant d’audace sur le plan esthétique, en interprétant ses textes majoritairement en créole pour la première fois de sa carrière de rappeur, Waahli accouche aussi de l’album le plus accessible qu’il ait offert à ce jour.

Impossible de rester immobile en entendant les rythmiques pop, latines et contemporaines des chansons Te Revoir et Bliyé Sa, ou le groove afro-colombien de Prince Waah, née d’une collaboration avec le coloré duo Dawer X Damper. Le musicien ne renie évidemment pas son amour pour le son boom bap aux basses bien joufflues, en témoignent la chanson-titre, duo avec le chanteur Clerel, camerounais d’origine, et la chaleureuse Bridge, avec Malika Tirolien.

Il y a dans Soap Box cette énergie exutoire, libératrice, souvent festive, qui touche, même si les textes sont moins aisés à décoder que lorsqu’il rappait en français ou en anglais. Permettez le cliché, mais au détour d’un groove inattendu, d’une référence musicale africaine ou latino, on ressent quelques-unes des décharges que nous assénait The Carnival, fusion rap métissée d’un autre musicien d’origine haïtienne, Wyclef Jean, paru il y a 25 ans déjà.

« Je vois ce que tu veux dire et j’adore la comparaison, réagit Waahli. Un classique, cet album. Wyclef est une inspiration, il a pris des risques magnifiques en le faisant, il a abattu des frontières musicales. Il fut important aussi pour la reconnaissance de la culture haïtienne aux États-Unis », à une époque où plusieurs rappeurs populaires n’hésitaient pas à revendiquer leurs origines, disons, jamaïcaines, mais que d’autres cachaient leurs racines créoles. « Il a levé le drapeau haïtien, il nous a rendus fiers. C’est inspirant, un artiste qui fonce. »

Waahli ne lève pas le drapeau, mais avec son nouvel album, il se tient droit, debout sur une boîte à savons. « L’idée de la soap box, c’est celle du promontoire sur lequel on se tient dans une place publique pour parler aux gens et partager ses idées, explique-t-il. J’aimerais que ma musique ait le même effet ; je crois que cet album mérite d’être écouté par le plus de gens possible. »

Soap Box

Waahli, Wyzah Musk Productions

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