Bons sentiments et dure réalité

Répétition de l’opéra «Backstage at Carnegie Hall», au Théâtre Centaur, avec les chanteurs lyriques Ruben Brutus et Alicia Ault.
Valerian Mazataud Le Devoir Répétition de l’opéra «Backstage at Carnegie Hall», au Théâtre Centaur, avec les chanteurs lyriques Ruben Brutus et Alicia Ault.

Bradyworks et Tim Brady présentaient vendredi soir, au Théâtre Centaur, Backstage at Carnegie Hall en codiffusion avec Chants Libres et Le Vivier. Qu’est-ce que ces deux organismes ont pu penser d’une telle chose, officiellement présentée comme un « opéra de chambre » ?

Pour évaluer sérieusement Backstage at Carnegie Hall en tant qu’« opéra de chambre », il faut partir des cinq premières minutes de la représentation de cette création, vendredi soir. Une brève introduction orchestrale ouvre sur un monologue de Charlie Christian, incarné par un ténor.

Ce dernier, Ruben Brutus, a certes une notable technique vocale, mais une si frêle voix que l’on se croit dans un spectacle de premier cycle estudiantin. La chose était-elle prévue au départ, mais le fait est qu’au bout de quelques minutes s’enclenche une amplification tonitruante qui donne instantanément à Ruben Brutus une voix de stentor.

Langage instrumental convaincant

 

On se retrouve donc dans une ambiance sonore de comédie musicale genre Notre-Dame de Paris, les mélodies en moins. Il faut rappeler que par définition le genre opéra désigne l’art du chant acoustique. Ce spectacle musical amplifié ne nous concernait guère, y compris en musique dite contemporaine, où l’amplification et le « non acoustique » est utilisé pour ses effets sonores et non pour pallier l’incompétence vocale des uns et des autres. Ladite amplification se signalait un première partie par des effets Larsen et pendant tout le spectacle par des crépitements de type électrostatiques. Elle n’a d’ailleurs pas empêché Brutus d’exposer ses limites vocales et techniques par la suite.

Dans tout ce marasme surnageait notablement Justin Welsh en Rufus Rockhead. Il est évident que si tous les protagonistes avaient eu cette qualité vocale, la face du projet en aurait été changée. Pour le reste, impossible de juger sérieusement des voix amplifiées.

 

Le type d’expression vocale utilisé par Tim Brady est très typique des opéras nord-américains de l’heure. Ce qui semble distinguer son langage ce sont des ensembles où les voix se superposent et se coupent comme dans une discussion (ou un débat politique !).

L’autre bonne surprise était le discours orchestral : aucune cacophonie, comme l’avait promis le compositeur, mais un propos musical avançant avec détermination et efficacité. Brady a très bien réussi la scène clé entre Charlie Christian et le luthier raciste Orville Gibson. Le solo qu’y déploie Christian est émouvant tant il est lumineusement inattendu.

Le traitement du sujet sur le racisme par un voyage artificiel dans le temps n’occulte pas la perception du génie du guitariste. Quant à la mise en scène sur la petite scène du Centaur, elle ne dépasse guère la mise en espace d’un spectacle d’Opera McGill ou de l’Université de Montréal.

Libre à chacun de tout excuser parce que le propos est louable.

 

Backstage at Carnegie Hall

 

Spectacle musical de Tim Brady. Livret d’Audrey Dwyer. Avec Ruben Brutus (ténor, Charlie Christian), Alicia Ault (soprano, Time Traveler), Fredericka Petit-Homme (soprano, Marian Anderson), Clayton Kennedy (baryton, Benny Goodman, Orville Gibson, cop), Justin Welsh (baryton, Rufus Rockhead), Clarence Christian (male protestor). Bradyworks, dir. Véronique Lussier. Mise en scène : Cherissa Richards. Décors et costumes : Nalo Soyini Bruce. Éclairages : David Perreault Ninacs. Théâtre Centaur, les 23 et 24 septembre 2022.

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