«Transtaïga», le pouvoir de rêver

Le violoniste Olivier Brault
Photo: Kevin Calixte Le violoniste Olivier Brault

Les Boréades ouvraient leur saison 2022-2023 avec un projet original, Transtaïga, concert documentaire, où le récit de Montréal à Kuujjuaq d’un aventurier, Samuel Lalande-Markon, était mis en images, en scène et en musique, l’éveil à la nature étant accompagné de sensations musicales.

Concert illustré d’images ou récit documentaire habillé de musique ? Quel que soit l’angle dominant — et nous y reviendrons —, les enjeux d’un projet comme Transtaïga sont multiples. Sans que les Boréades ou l’aventurier et auteur Samuel Lalande-Markon s’en prévalent, le plus noble est d’ouvrir la possibilité d’amener à la musique classique des spectateurs ou des auditeurs venus pour autre chose. En l’occurrence, le récit d’une exploration.

Une responsabilité

 

C’est là un bien rare et précieux : celui de l’exposition passive à la musique. Celle-ci se faisait jadis sur les bancs de l’école ou à la vue d’un dessin animé. Une personne qui ne vient pas spécifiquement « quérir » la musique « tombe dessus » et soudain peut ressentir un choc, expérimenter une rencontre avec l’art qui peut bouleverser une existence.

Ce n’est pas lubie que de prétendre cela. On sait par exemple que le « phénomène Glenn Gould » en France a été déclenché dans les années 1970 un soir de grève de la télévision où toutes les chaînes diffusaient un programme unique comprenant un concert de ce dernier.

La responsabilité qui incombe à ceux qui détiennent les clés des très rares fenêtres « d’exposition passive » est immense, que ce soit au cinéma (voir notre commentaire sur le film Ténor dans Le Devoir samedi), à la radio ou à la télévision, ou lors de concerts multidisciplinaires.

En matière de concerts mêlant diverses formes d’art, l’ECM+ de Véronique Lacroix fut un organisme pionnier et inventif. Aujourd’hui, Les Rugissants de Xavier Brossard Ménard, avec des projets alliant architecture et musique, explorent ces pistes. Parmi les articles classiques établis, Transfiguration, de la harpiste Valérie Milot et du violoncelliste Stéphane Tétreault, a établi un niveau auquel nous pouvons aujourd’hui mesurer des projets tels que Transtaïga.

Documentaire avant tout

 

Sur une voie très différente de celle de Transfiguration, Transtaïga repose d’abord sur le récit, passionnant, très informatif, souvent drôle, parfaitement adapté d’un livre et nourri par une parfaite complicité entre Samuel Lalande-Markon et l’acteur Alexis Déziel. Il y a là un vrai sens du rythme et de la poésie.

La narration est nourrie en premier lieu par de très belles images du vidéaste Simon Jolicoeur-Côté. Quant à la partie musicale, en l’état, elle fait « bande-son » du récit sans que l’on identifie les morceaux particulièrement. Qui peut relier le nom de Jean-Philippe Rameau à l’instant le plus magique de la confluence de l’eau et des sons les plus célestes ? Sortir du répertoire baroque ouvrait à deux grands moments : une transcription de Bydlo (Tableaux d’une exposition), dans la séquence de portage du canot, et Fratres de Pärt, à la fin de l’expédition. Parmi quelques mariages inattendus, le plus saisissant fut de ressentir la force tranquille du clavecin dans le mouvement lent du Concerto italien sur l’immensité d’une chute. Dommage qu’Olivier Brault n’ait pas connu son meilleur jour dans la Partita de Bach.

Photo: Kevin Calixte Le comédien Alexis Déziel (gauche) et l’aventurier Samuel Lalande-Markon

Mais ce qu’on retient de Transtaïga, c’est la force de la nature et celle du voyage intérieur : un pouvoir de rêver et la chance, comme le conclut l’aventurier, à partir d’un poème qui l’habitait, de ne plus « marcher à côté de soi-même ».

Il est important que ce projet soit accessible jusqu’à mardi partout au Québec, et ailleurs, en webdiffusion. Il serait important aussi pour les Boréades de suivre combien des nouveaux spectateurs venus dimanche reviendront pour un concert « régulier ».

Transtaïga

Concert documentaire. Oeuvres de Bach, Rameau, Leclair, Rebel, Van Eyck, Pärt, Charpentier, etc. Les Boréades de Montréal : Francis Colpron, Olivier Brault, Mélisande Corriveau, Mark Edwards. Mise en scène : Anne Millaire. Récit : Samuel Lalande-Markon et Alexis Déziel (acteur). Vidéos : Simon Jolicoeur-Côté. Photos : David Désilets. Éclairages et scénographie : Cédric Delorme-Bouchard. Salle Pauline-Julien, dimanche 18 septembre. En webdiffusion (pauline-julien.com) jusqu’au 20 septembre.

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