Vitalité et exubérance au pied du mont Royal

C’est en shorts noirs et chaussures de sport roses que Yannick Nézet-Séguin a servi la 5e de Beethoven sous toutes les coutures à un public enthousiaste amassé au pied du mont Royal, par une belle soirée d’été.
L’Orchestre Métropolitain (OM) avait convié, mardi soir, la population montréalaise à son grand concert gratuit annuel au pied du mont Royal. À l’étroit au Chalet de la montagne, où il refusait une dizaine de milliers de spectateurs dans les dernières années avant la Covid, l’OM a eu la bonne idée d’installer un chapiteau à l’angle de l’avenue du Parc et de l’avenue des Pins. Pour le premier et dernier concert du genre, en 2019, l’orchestre avait attiré 35 000 spectateurs. Selon les estimations de la ville de Montréal et des équipes de l’OM, communiquées en fin de soirée, la foule de 2022 approchait les 50 000 spectateurs.
Une surprise en rappel
L’OM a été choyé par la météo, mais quelque peu desservi par le vent qui soufflait dans les micros assez fort pour perturber le son jusqu’au début de la Cinquième de Beethoven. Yannick Nézet-Séguin avait choisi d’entamer la soirée sur l’ouverture Ville cosmopolite du Montréalais Airat Ichmouratov œuvre entraînante célébrant à ses yeux la vie, la vitalité et la diversité de Montréal. Dans son accoutrement inattendu d’arbitre de soccer, le chef a aussi fait un selfie géant destiné aux réseaux sociaux avec son orchestre puis le public. Mais, en ce qui concerne les écarts par rapport aux sentiers balisés, tout cela ne fut rien à côté du bis, entamé après la 5e Symphonie de Beethoven : cette même Cinquième dans la version disco de Walter Murphy des années 70, à la grande joie et surprise des présents.
Si l’expérience orchestrale peut s’accorder, pour un public élargi, avec joie plaisir et détente tout en préservant l’essentiel au moment opportun, peu importe. Car l’essentiel a été largement préservé : une Cinquième de Beethoven mordante et de haute tenue, dans laquelle le chef transposé au grand orchestre la « boule d’énergie » de son enregistrement avec l’Orchestre de chambre d’Europe (DG). Un coup de chapeau à l’amplification, excellente, et à la timbale, pile au rendez-vous de la transition entre le 3e et le 4e mouvement.
Yannick Nézet-Séguin présentait par ailleurs des œuvres qui lui sont chères : les deux derniers mouvements de la 3e Symphonie de Louise Farrenc et les univers étranges d’Aussi longtemps que la rivière coule de Barbara Assiginaak, compositrice des premières nations. Le programme ne transigeait donc en rien sur les valeurs que cherche à défendre le chef et celles que se doit de cultiver un orchestre symphonique.
À ceux qui, donc, seraient tentés de pousser des cris d’orfraie sur la juxtaposition d’un vrai et faux Beethoven et des quatre minutes de Walter Murphy, on rappellera simplement que le grand concert « symphonique » du 375e anniversaire de Montréal, qui mettrait soi-disant en valeur nos orchestres, était une soirée formatée pour la télévision ou ces derniers, OM et OSM réunis pour la première et seule fois de leur existence, servaient de faire-valoir à des vedettes de la chanson ! Il ne faudra jamais oublier cela, c’est-à-dire ne jamais oublier que le scandale, la quintessence de l’abdication de toutes les valeurs, était concentré ce soir-là.