Un Faust incontournable

Mephisto (à gauche) et Faust (à droite) pendant l'ascension aux cieux de Marguerite à l'Acte V
Jessica Latouche Mephisto (à gauche) et Faust (à droite) pendant l'ascension aux cieux de Marguerite à l'Acte V

Le spectacle phare du Festival d’opéra de Québec, Faust de Gounod, dont la première avait lieu vendredi soir au Grand Théâtre, est bien plus qu’une grande production : c’est un postulat en faveur de l’Opéra français et un modèle dans la manière de le réaliser.

Il y a dans la fosse du Grand Théâtre de Québec un chef inconnu ici, Victorien Vanoosten, déniché par Jean-François Lapointe et qui fait que ce compte rendu est probablement la première critique lyrique du Devoir en près de vingt ans à débuter par un coup de chapeau à la direction musicale. Vanoosten est à la fois un aimant et un animateur hors pair. L’élan qu’il confère à l’opéra, mais aussi les textures de cordes, lorsque Marguerite évoque de son amant à la fin de l’oeuvre, sont dignes des plus hautes louanges. L’Orchestre symphonique de Québec sonne admirablement sous sa baguette et le chef est omniprésent avec les chanteurs. Nous avons vu là du grand art dans la fosse.

Culture musicale

 

Ce dynamisme tombait fort bien, car la mise en scène de Jean-Romain Vesperini est d’une grande efficacité dramatique et musicale. Le dispositif scénique ingénieux de Bruno de Lavenère, un escalier central qui sert de parvis d’église comme de montée aux cieux ou de descente aux enfers, permet aussi de « centrer » les chanteurs, et de les amener vers le chef face au public. Sans qu’on le remarque, en fait, le « rendement musical » est toujours optimal. Et cela compte.

Car si ce Faust est un modèle, c’est pour deux raisons principales. L’intelligence de la distribution, d’abord : les meilleurs francophones (Belges, Français, Québécois) dans leurs emplois. Ensuite, et surtout, l’intelligibilité. La prononciation de tous les chanteurs est si bonne que l’on n’a même pas besoin de regarder les surtitres. Cette culture du chant français est essentielle.

C’est évidemment une dimension dont on fait peu de cas quand on programme des opéras italiens à longueurs de saisons. Mais ce sera une des missions de Jean-François Lapointe de défendre cela. D’ailleurs, il a la chance, lui, d’avoir une salle fort gratifiante, puisqu’il est très agréable d’écouter de l’opéra au Grand Théâtre : on a une très bonne perception de l’orchestre et les chanteurs passent bien.

Classe internationale

 

Sans faute, donc, pour ce Faust redonné dimanche, mardi et jeudi, merveilleux musicalement grâce, par exemple, à Anne-Catherine Gillet, merveilleuse Marguerite, parfaitement expressive, dont on perçoit si bien l’évolution du personnage. Elle est parfaite, même quand elle ne chante pas. Ainsi, lorsqu’elle ramasse le collier laissé par Valentin, elle joue une « scène de la folie » en quelques secondes, sans la moindre parole.

Patrick Bolleire est tellement Mephisto qu’on se demande ce qu’il fait dans la vie à ses heures perdues. Il ne surjoue jamais et incarne un diable fielleux très en contrôle. Excellente surprise de la part du ténor Thomas Bettinger, qui a vraiment la voix du rôle et la carrure pour tenir dans les ensembles face à Bolleire. Jérôme Boutillier lui aussi rend ses lettres de noblesse au chant français. Tout est impeccablement clair et bien placé. Sarah Bissonnette est un impeccable Siebel, mais mention à tous vraiment, Marthe, Wagner et les choeurs, merveilleux d’impact.

Un tel spectacle, qui utilise avec un bon dosage des effets d’amplification quand c’est justifié (choeurs de « voix » ou orgue), trouverait très bien sa place au Théâtre des Champs Élysées à Paris, par exemple. Sans immenses déploiements, il utilise la symbolique (rouge vs blanc, la croix) à bon escient et les projections de manière vivante mais intelligente, l’intelligence en la matière consistant à ne pas détourner l’attention du spectateur de la musique tout en apportant des éléments à la scénographie.

Il reste maintenant à espérer que ces efforts plus que remarquables rencontrent une réponse adéquate du public. « L’effet COVID », plus « l’effet pape », plus on ne sait quoi encore a semblé toucher Québec en cette fin de semaine encore plus que d’autres organisateurs d’événements culturels.

Faust

Opéra de Gounod. Thomas Bettinger, Faust — Patrick Bolleire, Méphistophélès — Anne-Catherine Gillet, Marguerite — Jérôme Boutillier, Valentin — Sarah Bissonnette, Siébel — Luce Vachon, Marthe Schwertlein — William Desbiens, Wagner. Choeur de L’opéra de Québec. Orchestre symphonique de Québec, Victorien Vanoosten. Mise en scène : Jean-Romain Vesperini. Scénographie : Bruno de Lavenère. Costumes : Marilène Bastien. Conception vidéo : Étienne Guiol. Éclairages : Nicolas Descôteaux. Grand Théâtre de Québec, Vendredi 29 juillet 2022. Reprises dimanche, mardi et jeudi.

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