Ode à une pionnière

À l’occasion de son « Grand Concert » du samedi soir, le Festival Montréal baroque rendait hommage à Élisabeth-Claude Jacquet de La Guerre, première grande compositrice française à l’époque de Louis XIV. L’ensemble Les Boréades s’est habilement acquitté de cette tâche devant un auditoire convaincu, mais réduit.
Francis Colpron, Olivier Brault, Mélisande Corriveau et Jean-Willy Kunz, au clavecin, ont contribué à un festival Montréal Baroque 2022 célébrant les compositrices en mettant en valeur la production d’Élisabeth Jacquet de La Guerre (1665-1729).
« La petite Jacquet », musicienne prodige, est la quasi exacte contemporaine de François Couperin. Même si Céphale et Procris (1694) fut un semi-échec, il n’en reste pas moins le premier opéra présenté par une femme à l’Académie Royale de musique.
Elisabeth, qui épousa l’organiste Marin de La Guerre, fut une pionnière en tout, composant pièces lyriques, cantates et sonates pour violon, à une époque où la viole était bien plus considérée.
La danse comme support visuel
De ce concert, la pièce la plus conséquente, L’île de Délos, est l’une des trois « Cantates françoises profanes » (sic !) dont la caractéristique est la longueur. Alors que les recueils traditionnels regroupaient traditionnellement six oeuvres de même type, Jacquet de la Guerre écrivait elle-même : « Comme les Cantates que je présente au Public sont un peu longues, j’ay cru devoir me borner à trois. » Aux côtés de L’île de Délos, le recueil comprend Le sommeil d’Ulisse et Semele. Enregistré en 1999 par Isabelle Desrochers pour Alpha, Le sommeil d’Ulisse est d’un intérêt légèrement supérieur à L’île de Délos, notamment pour les épisodes atmosphériques et instrumentaux. De même, certaines oeuvres chambristes (par exemple les pièces avec hautbois de 1695 enregistrées par Musica Fiorita chez Pan) surpassent ce que nous avons entendu samedi, où se démarquent l’admirable 1er mouvement et le langoureux Aria de la Sonate en ré mineur, une sonate jouée pour partie au violon et pour grande partie à la flûte (on écoutera le CD de Florence Malgoire chez Ricercar pour avoir la version violonistique intégrale).
La modestie des proportions (quatre instruments) ne rendait pas le relief des extraits de l’opéra Céphale et Procris. Sans nécessiter un effectif pléthorique, il y a tout de même besoin d’un peu plus de matière sonore instrumentale. Par contre, Francis Colpron et ses amis ont fait vivre la musique d’Élisabeth Jacquet de La Guerre avec quelques digressions facétieuses (Kunz-Colpron) dans la Sonate en ré et par l’animation de la musique à travers la danse. De ce point de vue, l’apport de Marie-Nathalie Lacoursière et de Stéphanie Brochard est toujours inventif, fluide et de grande qualité.
Avec des moyens modestes, tous ont donc donné le meilleur, accompagnant dans la cantate et un air de l’opéra Myriam Leblanc, à la voix sûre et bien placée s’attachant à bien prononcer. Il y a cependant plus de chaleur et de subtiles inflexions dans l’Ulisse du disque d’Isabelle Desrochers.
Il est dommage que le beau travail ait été présenté à quelques dizaines de spectateurs seulement. Pour ce 20e anniversaire de Montréal baroque, il reste un noyau de fidèles. Nous sommes loin de la ferveur et grande curiosité des débuts. Est-ce un problème de localisation du festival dans la cité ? De frilosité post-COVID-19 ? Une âme qui aurait disparu ? Nous ne pouvons qu’espérer un retour de la flamme d’antan.