Rivard «mur à mur»

Prenant prétexte de nouvelles nominations à l’Ordre des arts et des lettres du Québec, Le Devoir vous invite dans l’imaginaire d’artistes dont le travail exemplaire fait rayonner la culture.
« Je suis occupé comme jamais ! Je travaille mur à mur. » Cet été, Michel Rivard joue au théâtre. « J’ai répété une comédie qui est jouée à Saint-Jérôme. C’est une adaptation théâtrale du film La grande séduction. J’ai le premier rôle, donc c’est beaucoup de travail. » La pièce est présentée sous le nom de Sainte-Marie-la-Mauderne. Sur scène, Michel Rivard y apparaît aux côtés, entre autres, de Normand Brathwaite.
Le théâtre l’a toujours fasciné. Le chanteur, comme on le sait, fut longtemps une des têtes d’affiche de la Ligue nationale d’improvisation (LNI). « Mon milieu naturel n’était pas celui de la chanson. Mon père était comédien. » Robert Rivard joua en effet beaucoup dans les télé-théâtres diffusés par la télévision d’État. « Il avait étudié en France. Il se soumettait volontiers à une mise en scène, à être une partie de quelque chose de plus grand que lui, à écouter les autres. C’est une dynamique que j’apprivoise à mon tour, que je recommence à apprivoiser. »
Le théâtre a toujours fait partie de son être. « Je n’ai jamais étudié le théâtre nulle part. J’ai eu souvent des offres. J’ai refusé. C’est un métier en soi. Mais c’est un métier que j’aime. Et j’apprends à le redécouvrir. »
Il fut un temps où Michel Rivard brillait à la LNI. « On m’en parle encore ! J’ai été très jeune exposé à l’art, au théâtre, à la chanson, à la musique, mais sans qu’on me pousse vers ça. »
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Le reste de la série «Passion création»Son père, dit-il, aurait sans doute préféré le voir devenir avocat ou quelque chose du genre. « Il aurait voulu que je redonne un certain sérieux au blason familial ! » Avant Beau Dommage, Michel Rivard va fréquenter le réputé collège Sainte-Marie, une des meilleures institutions scolaires de l’époque à Montréal. Il va apprendre à faire l’école buissonnière, à maîtriser de nouveaux accords de guitare. Ce sera son entrée dans la vie, dans le monde, dans ce qu’il appelle « la classe de 1974 ».
Une école à soi
« Je sais exactement ce que la gang de Beau Dommage m’a donné et ce que je lui ai donné. On faisait partie d’un mouvement, que j’appelle affectueusement la “classe de 74”. Beau Dommage, Harmonium, les Séguin, toute cette gang-là, on était tous des chums, on se tenait dans les mêmes bars, on a même été colocs. Je sais très bien que c’est important : c’est mon école. »
À l’époque, les marchepieds pour arriver sur la grande scène n’étaient pas nombreux. « Il n’y avait pas d’école de la chanson… Il n’y avait pas de concours de chanson de Granby… Il n’y avait absolument rien de ça. Alors, on apprenait ensemble, en se montrant des accords de guitare et en se faisant écouter des affaires. Tu as écrit une toune ? Joue-la-moi ! C’est ben bon ! Moi, je vais essayer d’en faire une meilleure… On avançait comme ça. […] Je persiste à dire que c’est une école extraordinaire. Je suis très fier de ce qu’on a fait avec Beau Dommage. Très fier même lorsqu’on est revenus, en 1993, l’espace d’un disque et d’une immense tournée, alors que j’avais déjà une carrière solo » qui roulait du feu de Dieu.
Michel Rivard vient de terminer la longue tournée d’un spectacle qui s’est étiré en raison de la pandémie. « L’origine de nos espèces, mon spectacle de théâtre en solitaire, devait durer un an et demi… » La centième représentation a eu lieu dans le cadre des Francos.
« En même temps, je viens de terminer une tournée avec les Polissons de la chanson, qui est un hommage à Brassens. »
En douce, il travaille à la mise en place d’un nouveau spectacle. « Ça va s’appeler Le tour du bloc. Ce sera en janvier prochain. Ce sera une façon, entre guillemets, de célébrer 50 ans de chansons. » Bref, Michel Rivard n’arrête pas. « Je viens d’avoir 70 ans. On me donne des prix. Je les prends, très honnêtement, comme un encouragement à continuer… »
Les temps ont changé
« Quand quelqu’un me dit : “Monsieur Rivard, on vous aimait tellement », je sais qu’on me parle de Beau Dommage ! C’est comme si on me disait : “C’est de valeur que vous ne fassiez plus rien”… Je m’aperçois que, pour eux, après Beau Dommage, il n’y a plus rien… Je ne peux pas leur en vouloir ! Quand bien même je leur dirais, au coin d’une rue : “Mais vous savez, j’ai fait autre chose aussi et j’ai été beaucoup plus en dehors de Beau Dommage qu’avec Beau Dommage !” Je ne veux pas avoir l’air plus bouddhiste que je ne le suis, mais ils sont heureux de ce que j’ai fait à ce moment-là. C’est beau. C’est ben correct… Et s’ils ne savent pas ce que j’ai fait après, ce n’est pas grave. Ce n’est que de l’eau, comme disait l’autre. »
Les temps ont changé. Michel Rivard affirme qu’il est important de rester sensible à ce qui se passe autour de lui, en ces temps complexes, incertains. « J’ai un respect pour bien des créateurs que je ne comprends pas tout à fait. Que ce soit en rap, en danse, en théâtre, il y a des affaires que je vois et je sais que c’est bon, que c’est intéressant, mais ça ne s’adresse pas particulièrement à moi. Je ne suis pas obligé de tout comprendre non plus… Je sais très bien qu’il y a des bands québécois, des rappeurs extraordinaires. J’en entends des bouts. Je sais que ce sont des gens “articulés”, qui lisent, qui ont du vocabulaire et tout. J’en ai rencontré. Mais bon, ce n’est pas ça que j’écoute dans la vie… »
Et comment considère-t-il l’usage du français désormais dans le monde de la chanson ? « Je suis moins choqué que je l’étais par un petit bout en anglais dans une chanson en français. Est-ce que j’ai raison ? Je ne le sais pas. Mais je ne le vois pas nécessairement comme une menace. Peut-être parce que je suis plus préoccupé par des questions environnementales que par des questions de “fierté nationale” ? »
L’agacement qui le prend, ces derniers temps, tient à tout autre chose. « Ça vient me chercher en tout cas quand on souligne trop la “fierté bleue”. Ça devient tellement bleu que ça nous rappelle certains bleus d’une certaine époque… Le bleu devient bleu foncé à un moment donné : et on ne voit plus grand-chose à travers.