Nous sommes bénis!

Le jeune chef Nicolas Ellis faisait mercredi soir de grands débuts mahlériens à la Maison symphonique lors d’un gala au profit de trois oeuvres caritatives qui a rapporté 270 000 dollars, soirée musicale bouleversante à plus d’un titre.
Difficile de commenter sereinement une 3e Symphonie de Mahler au terme d’une saison 2021-2022 chaotique. En raison de la distanciation et des choeurs, nous avions tellement intégré le fait de ne plus pouvoir entendre une oeuvre si monumentale avant longtemps que de la voir exister à nouveau « en vrai » devant nous fut un choc quasi indescriptible.
Somme de talents
Des chocs, il y en eut beaucoup. D’abord, la qualité d’exécution de la part de l’Orchestre de l’Agora, renforcé par des musiciens d’orchestres professionnels de tout le Québec, de Rimouski à Sherbrooke en passant par Trois-Rivières. Ce n’était absolument pas un « Orchestre Métropolitain déguisé » (malgré la présence de quelques membres de l’OM), mais une vraie mosaïque de musiciens venus de partout.
En entendant ces cuivres, par exemple, la tenue des trombones et trompettes jusqu’aux ultimes mesures, ou ces cors, certes un peu hétérogènes au début, mais volontaires et jouant volontiers pavillon haut, en découvrant ce merveilleux groupe de hautbois, aussi, ou ces flûtes, on se disait que le Québec regorge de talents à en revendre dont on ignore l’étendue et la qualité. Pour une 3e de Mahler montée avec un orchestre constitué à 90 % de renforts, l’esprit de corps et d’équipe fut remarquable, tout comme les balances et la cohésion.
À ce titre les choeurs étaient tout aussi impeccables, ficelant merveilleusement une partie vocale de haut vol. Vedette à ce chapitre, Marie-Nicole Lemieux chante de plus en plus l’allemand comme une Allemande et sa voix est idéale pour Mahler. La particularité de sa prestation dans la 3e de Mahler est sa manière, dans le 5e mouvement (celui avec choeur), d’ajouter du volume et des couleurs par rapport au 4e volet, plus réflexif. Sa prestation fut glorieuse.

Et que dire de Nicolas Ellis ? S’il était né Finlandais, il serait déjà directeur musical d’un grand orchestre européen. Le talent de ce musicien est une bénédiction, tout comme nous sommes bénis d’avoir des chefs tels que Yannick Nézet-Séguin, Bernard Labadie, Jean-Marie Zeitouni, Jordan de Souza et peut-être Francis Choinière s’il poursuit sur sa lancée. Ellis a interprété ce monument avec force, logique et clarté et une grande cohérence organique. Il a bien enchaîné les mouvements 4, 5 et 6 comme prescrit par Mahler (à 79 ans, et avec toute son expérience, Zubin Mehta avait oublié de le faire à l’OSM en 2015). Le cor de postillon hors scène du 3e mouvement était aussi parfaitement dosé et les tempos des mouvements centraux (II et III) parfaitement choisis.
Qui plus est, le redoutable Finale fut un miracle d’intelligence, car il chantait (« gesangsvoll ») et coulait de source. Ellis faisant observer les nuances, les phrases et transitions s’enchaînent logiquement et la puissance hymnique naît avec force dans un brassage musical exaltant.
Concert pas forcément toujours parfait, mais extrêmement émouvant, car juste et humain. Il a été filmé : tant mieux.