La remarquable «Neuvième» de l’OSM et Payare

Rafael Payare dirigera la 9e Symphonie de Beethoven à quatre reprises cette semaine. Le concert de mardi, filmé et diffusé dès le 4 juin sur Symphony.live, témoigne d’un changement bienvenu dans la présentation de cette œuvre à l’OSM.
Pendant quinze années, la Neuvième a été le domaine réservé de Kent Nagano, une approche marquée par les recherches musicologiques et des abstractions intellectuelles, là où le matériau musical se révèle plus sensible (3e mouvement et, surtout, Finale, par exemple dans la marche chantée par le ténor).
Le nouveau directeur musical de l’OSM, Rafael Payare, ne fait pas preuve de moins de logique. Il appréhende la partition de manière très méticuleuse, par exemple dans les couches dynamiques du 2e mouvement, ou la gestion du cantabile et des rapports de tempos du mouvement lent. Mais, comme il le disait en entrevue au Devoir, nulle pensée n’est épisodique ou séquentielle. Dans le Finale, la marche du ténor met clairement en avant les coloris turcs car elle ne prend pas la poudre d’escampette. De ce fait aussi, la fugue qui suit recèle une vraie puissance dans un tempo exécutable.
Clarté polyphonique
La tenue de cette conception est remarquable, surtout dans la coda du 1er mouvement, très rarement aussi bien maîtrisée a tempo. Souvent les chefs accélèrent pendant le crescendo, mais l’édifice est bien plus impressionnant lorsque la conduite est immuable. À cela s’ajoute la qualité de la gestion polyphonique pendant toute l’interprétation de l’œuvre, avec une très belle mise en valeur des bois.
De ce point de vue, Rafael a fait de très bons choix et des choix pas forcément confortables pour lui. Il place à Montréal l’orchestre de manière différente qu’à San Diego (et ne doit donc pas diriger les entrées aux mêmes endroits !) parce que le placement montréalais est historiquement plus pertinent et acoustiquement plus efficace dans notre salle. Ainsi les violons I et II sont opposés sur scène et les contrebasses surélevées à gauche font gagner beaucoup d’impact aux graves (un noyau violoncelles, contrebasses, cors timbales donne une belle ossature). Le passage qui gagne le plus à ce dispositif est au centre du 3e mouvement une sorte de « trio » entre le cor, les bois et une circulation de pizzicatos aux cordes du plus merveilleux effet.
Nous ne sommes pas d’avis que le caractère de récitatif des contrebasses, au doute grandissant, au début du Finale soit vraiment le bon choix. Jouer ces interventions plus a tempo aurait davantage d’impact. C’est un choix du chef, que d’autres partagent avec lui. Mais le grand bémol de l’exécution, alors que l’orchestre est d’une implication parfaite, est à mettre au débit du chœur.
Le sabir germanique
Certes le chœur chante juste et bien, mais la prononciation est un sabir informe. Pas, ou presque pas, de « z », de « s », de « t », de « r » ou de « k », alors que tout le chant allemand repose sur les consonnes, voilà qui est absolument incroyable. C’était la même chose sous Kent Nagano. Si M. Megill est incapable d’apprendre cela aux choristes, qu’on lui adjoigne un coach linguistique ! Dommage, car à l’éloquence instrumentale méritait d’être adjointe une éloquence du texte chanté. Le quatuor de solistes, lui, était bien choisi.
Rafael Payare avait introduit le concert avec deux partitions chorales de Brahms dirigées avec une adéquate fluidité. C’était important pour l’OSM de pouvoir les roder, car elles feront partie d’un concert, à Vienne, de la tournée européenne, en octobre prochain.
À ce propos, l’orchestre, qui saluait hier soir le départ à la retraite de trois de ses membres, la violoncelliste Sylvie Lambert, le clarinettiste Michael Dumouchel et le trompettiste Jean-Luc Gagnon, a publié hier sa programmation 2022-2023. Rafael Payare ouvrira la saison avec la 2e de Mahler et la fermera avec la Troisième. L’OSM accueillera enfin Barbara Hannigan et a confié un concert à Osmo Vänskä. Quant à l’affiche la plus folle, elle verra l’association de Daniil Trifonov et Sergeï Babayan dans le Concerto pour 2 pianos et percussions de Bartók.