L’épicentre de Rose Naggar-Tremblay

Pendant la pandémie, Rose Naggar-Tremblay a composé avec Éric Champagne un cycle de mélodies, «Healing», sur ses propres textes. Cette œuvre lui a permis de ​remporter le prix pour la meilleure interprétation d’une œuvre canadienne lors du concours OSM.
Photo: Valérian Mazataud Le Devoir Pendant la pandémie, Rose Naggar-Tremblay a composé avec Éric Champagne un cycle de mélodies, «Healing», sur ses propres textes. Cette œuvre lui a permis de ​remporter le prix pour la meilleure interprétation d’une œuvre canadienne lors du concours OSM.

Dans la semaine à venir, Rose Naggar-Tremblay sera l’une des concurrentes du Concours musical international de Montréal (CMIM). Sur la foi de son concert du 12 mai dernier avec l’OSM et des éditions antérieures, elle ne devrait pas y faire que de la figuration. Portrait de cette chanteuse de 29 ans à la voix rare et précieuse.

« Rose Naggar-Tremblay est une mezzo-soprano polyvalente, remarquée pour la richesse de son timbre et l’intelligence de ses interprétations. » Ainsi commence la biographie diligemment et logiquement reproduite par l’OSM il y a quelques semaines. « Sans chercher à engager un débat sur sa voix, elle est une contralto », avions-nous écrit dans notre compte rendu de concert du 12 mai.

Rien n’est plus pénible et pédant, en musique, que les pinaillages sur les classifications vocales, qui ont longtemps poursuivi Marie-Nicole Lemieux par exemple. Mais là, un recadrage s’imposait, car si, à 29 ans, une évidence était aussi éclatante, cela devenait un enjeu patrimonial tant les vraies contraltos (une typologie plus grave que celle de mezzo) sont rares. D’où le concept de « voix précieuse » attaché à Rose Naggar-Tremblay.

Cheminer

 

Pendant la pandémie, Rose Naggar-Tremblay a composé avec Éric Champagne un cycle de mélodies, Healing, sur ses propres textes. Cette œuvre lui a permis de ​remporter le prix pour la meilleure interprétation d’une œuvre canadienne lors du concours OSM. « Healing parle de la guérison de l’anxiété de performance, de ce que cela avait été pour moi de chanter alors que je n’étais pas encore alignée vocalement. Tout cela crée des blessures : on est très conscient, sur scène, que l’on n’est pas encore à la hauteur du répertoire que l’on veut chanter », nous dit Rose Naggar-Tremblay.

« J’ai beaucoup apprécié votre mention de mon registre de contralto, parce que c’est ce que j’ai appris en composant. J’ai réalisé que lorsque je compose ma propre mélodie, c’est là que ma voix a envie d’être, qu’elle est la plus colorée, que j’ai le plus de contrôle et le plus de plaisir à chanter. »

D’ailleurs, sa participation au CMIM, à la suite d’une série de succès (victoire au concours OSM, victoire au concours Enesco Paris, « Jeune espoir lyrique canadien » des Jeunes ambassadeurs lyriques, où elle a tout raflé), comportera une nouveauté : « C’est la première fois que je m’inscris à un concours en tant que contralto. »

Rose Naggar-Tremblay n’a pas d’attentes au CMIM « autres que de jouir du programme, de profiter du travail effectué et de montrer ce que j’ai fait, dit-elle. Parce que j’ai beaucoup cheminé. C’est une manière d’affirmer ce changement de cap ».

Le CMIM sera pour elle une terre de rencontres : « Je sais que les chanteurs qui vont y être sont les étoiles de ma génération. Or, je pratique ce métier pour travailler avec des gens qui vont au bout de l’art. J’ai donc envie de rencontrer des artistes, de vivre ces rencontres, de créer des relations. » Pour le Concours OSM, aussi, elle n’avait aucun objectif : « Il y avait une belle place pour les œuvres canadiennes et j’avais envie de chanter ce que j’ai composé avec Éric Champagne. »

Aligner la voix

 

Pour comprendre ce que représente cette sérénité vocale en ce printemps 2022, il est intéressant de se pencher sur cinq années où tout aurait pu basculer bien différemment.

Après son baccalauréat en interprétation à McGill, avec une mineure en littérature et culture européenne, Rose Naggar-Tremblay entre à l’Atelier lyrique de l’Opéra de Montréal en 2017. « Je ne savais pas où me situer dans mon développement vocal. Je n’étais pas encore sur mon axe et j’allais partout à la fois. Mon professeur à McGill, Winston Purdy (1941-2017), était décédé au moment où je suis entrée à l’Atelier, c’est pour cela aussi que j’étais perdue. » Mme Naggar-Tremblay bénéficie des conseils des artistes qui passent par l’Atelier, mais ces rencontres fugaces font « qu’on peut être pris avec une idée, mais sans les outils pour la développer », explique-t-elle.

Le problème qui se pose à l’artiste est plutôt l’abondance de biens. La matière est riche. « J’ai toujours eu une grande voix, une voix très longue, donc beaucoup de possibilités. Je pense que la voix a beaucoup de couleurs aussi, donc j’étais ouverte à tout, à tous les répertoires. »

Rose Naggar-Tremblay ne trouve sa voix qu’en 2e année. « J’ai beaucoup ralenti. Avec Arianne Girard, nous avons travaillé en profondeur sur l’alignement vocal. C’était lent, mais j’ai eu l’impression de travailler comme une athlète pendant un an. J’ai aussi chanté le rôle de Gertrude Stein dans l’opéra Twenty-Seven, rôle révélateur parce qu’exigeant. J’ai vu à travers ce rôle à quel point le travail avait porté ses fruits et ce qui restait à consolider. »

À la fin de sa 2e année, l’artiste demande à poursuivre un peu. « Je n’avais pas terminé mon travail technique », analyse-t-elle. Chantal Lambert, directrice de l’Atelier, lui octroie 10 semaines à prendre pendant l’année. « Là, je me suis dit : “Je vais faire six mois sur le marché du travail, pour voir, et je vais revenir à l’hiver”. » Bonne décision. Elle gagne un peu d’argent, ce qui lui permet d’avoir « un filet pendant les premiers mois de la pandémie en étant encadrée et en continuant à avancer ».

L’automne fou

La période pandémique de la chanteuse est à la fois silencieuse et bouillonnante. Elle achève son parcours à l’Atelier, compose Healing, participe au concours tremplin des Jeunes ambassadeurs lyriques, où elle remporte un stage à Bologne, le rôle de Mercédès dans une production de Carmen à Sofia et une participation au concours Enesco. Tous ces engagements sont finalement reportés à l’automne 2021 en raison de la crise sanitaire. « Pendant la pandémie, je suis devenue professeure de langues à temps plein pendant six mois. J’enseignais le français, l’anglais et l’italien en ligne cinq heures par jour et je travaillais ma voix le reste du temps. L’argent mis de côté m’a permis de prendre des risques, de participer à des concours. Le fait de gagner ces concours m’a ensuite donné un coussin financier. »

La chanteuse tire des leçons de l’expérience : « Le secret est de pouvoir avoir l’occasion de partir au pied levé. C’est peut-être juste une audition, mais il faut y aller, car on ne sait pas ce que cela peut donner. »

Travailler d’arrache-pied n’était pas une nouveauté pour Rose : « À l’université, j’avais trois boulots en même temps et j’y allais un mois à la fois. » Car, dans l’environnement d’un chanteur, les coûts ne sont pas négligeables. « C’est une équipe sportive : ma professeure, des coachs de diction, mon ostéopathe… »

Connaissance de soi et épanouissement sont des clés d’un art maîtrisé. Certes, le « répertoire consolide la tessiture », mais la chanteuse n’abdique aucun élément et continue à travailler sa voix jusqu’au contre-ut chaque jour.

À l’automne 2021, « après un an et demi sur la glace à attendre de prendre mon envol, la volonté était brûlante. J’étais prête et solide », se souvient-elle. Et là, tout a déboulé.

À l’Opéra de Sofia, qui l’avait engagée pour le rôle de Mercédès dans Carmen, la titulaire du rôle de Carmen se désiste et Rose Naggar-Tremblay se met sur les rangs. Elle est prise et réengagée pour plusieurs séries de représentations.

Elle rafle tout à l’édition 2021 des Jeunes ambassadeurs lyriques, avec des rôles (dont Erda) dans la tétralogie de Wagner à Erfurt en Allemagne, et dans Puccini (Zita de Gianni Schicchi) en Corée. Elle gagne le concours OSM et le concours Enesco à Paris. À la suite de ce dernier, une agence française, Adagio, lui organise une tournée d’auditions. « Les retombées de cela se font graduellement », nous dit la chanteuse, qu’on verra assurément sur des scènes françaises sous peu.

Son rôle de rêve est Isabella dans L’Italienne à Alger de Rossini. « Pour le concours, je chante aussi Malcolm de La donna del Lago. Tous les Rossini graves sont d’un grand confort pour moi et c’est la même chose avec les Haendel graves : Cesare, Bradamante [Alcina]. » En concert, Rose veut chanter Elgar, Mahler, Brahms et Le Messie, qui lui a mis la puce à l’oreille sur sa voix. « Mes amies mezzos me disaient toujours que c’était difficile, alors que pour moi, c’était très confortable ». Enfin, il y a Vivaldi : « J’aime chanter des coloratures et c’est une manière de rester en santé vocale, d’autant plus que j’aborde mes premiers Wagner. »

« La reconnaissance du répertoire est difficile quand on a une voix longue et colorée. Il faut comprendre où est le centre de la voix, ce qui est le plus aligné sur la voix parlée et s’assurer que la voix utilisée quand on parle est saine, car ce sont les muscles qu’on utilise régulièrement. » Cinq ans, cela semble long pour ce constat. C’est pourtant très court et, quoiqu’il arrive au CMIM, Rose Naggar-Tremblay peut se lancer dans sa carrière de manière déterminée.

En concert cette semaine

Début du Concours musical international de Montréal, à la salle Bourgie, le 31 mai et le 1er juin à 14 h et à 19 h 30.

Nathalie Stutzmann dirige l’OM, samedi 4 juin à 19 h 30.



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