La foi irradiante du Requiem de Brahms

Yannick Nézet-Séguin dirigeait vendredi un orchestre complet et un chœur dans une Maison symphonique comble. Le Requiem allemand Brahms, un requiem de consolation et d’espoir, apparaissait comme le symbole d’une espérance en une normalité retrouvée pour longtemps. La soirée a été une forme de miracle, une confirmation, surtout, que Yannick Nézet-Séguin est un musicien admirable.
Si le concept existait, on dirait que Yannick Nézet-Séguin est d’une « admirabilité bouleversante ». Nous n’avons pas toujours été tendres avec lui, mais ce qui est sidérant, justement, est de constater qu’il était probablement son plus sévère critique.
La capacité de remise en cause de ce musicien et la vitesse avec laquelle il peut atteindre de grandes choses dépassent probablement tout ce qui s’est vu parmi les grands interprètes.
En 2009, le Philharmonique de Londres captait un concert de Yannick Nézet-Séguin dans cette œuvre et le publiait sur disque. Son Requiem allemand s’étirait alors sur près de 76 minutes dans une version contemplative, recueillie et statique, proche parfois de ce que faisait Herbert von Karajan, c’est-à-dire un contresens.
Consolation et espoir
Car le Requiem allemand de Brahms, ce n’est pas cela : c’est une œuvre en mouvement, un périple qui, à travers la foi, mène à la consolation et à l’espoir de la rédemption. Il y a aussi un hommage aux maîtres du passé (Schütz, Schein, Bach) que Brahms dirigeait à Vienne en tant que chef de la société chorale Singverein. Cet « archaïsme » entraîne une expression souvent plus « humaine » que grandiose. Toutes ces données, Yannick Nézet-Séguin les a parfaitement intégrées et réalignées dans cette interprétation en 69 minutes, un tempo idéal, parant une approche dont l’humilité se traduit par des soufflets dynamiques très contenus dans le 1er volet, par exemple.
Et la lettre servait très bien l’esprit. Rarement aura-t-on entendu à Montréal un chœur si bien chanter en langue allemande, avec une netteté patente dès le début, lorsque dans « und tragen » on entendait très bien le « d » et le « t ». Au début du 6e mouvement, la pérégrination du peuple en marche était très bien rendue par un rebond conjoint sur la lettre « n » et sur les pizzicatos, alors que le mouvement central de l’œuvre (IV), sorte de havre de paix, était d’un naturel évident.
Yannick Nézet-Séguin avait particulièrement soigné l’étagement de l’orchestre. Cela mettait beaucoup les timbales en relief dans la marche du II, mais avec un effet saisissant et positif, contrairement au trop-plein de trombones à la fin de la fugue du III, qui bouchait la polyphonie chorale.
Lutte contre la mort
Les partis pris interprétatifs les plus notables de ce « nouveau Requiem allemand » de Yannick Nézet-Séguin sont la dimension très « post Bach » du 1er volet, avec une pédale parfaitement dosée ; un II où, là aussi, les soufflets dynamiques sont réduits mais dont la fugue est un peu trop martiale ; un III bien équilibré expressivement, avec une fugue très juste et un IV parfaitement ciselé, avec une adéquation idéale entre tempo et prononciation. Le plus gros pari interprétatif se trouve dans la lutte contre la mort du VI, une partie notée vivace prise un peu sous le tempo mais avec une hargne et une férocité exemplaires (cors, trompettes, contrebasses et même piccolo !). Ce mouvement permet, comme ailleurs, de noter la qualité supérieure du pupitre de ténors du chœur, d’une superbe couleur et élégance. Chapeau au chœur d’avoir chanté juste et avec homogénéité.
Le volet final confirmait l’élan nouveau dont faisait preuve le chef. Dans cet ultime mouvement il y a possibilité de jouer encore davantage sur la texture chorale et le mystère expressif des passages « dolce ».
Côté solistes, Eric Owen a chanté avec aplomb de manière très nuancée mais en serrant un peu sa voix dans les passages les plus aigus, qui perdaient un peu d’impact au lieu de s’épanouir. Quant à Suzanne Taffot, Yannick Nézet-Séguin s’est entiché de sa voix, qui serait sans doute en situation dans Verdi. Ici, elle fait trop cantatrice pour être la mère consolatrice voulue par Brahms. Par ailleurs, au milieu de l’air tout le monde s’est perdu.
Le Requiem allemand était introduit par une œuvre du Canadien d’origine cubaine Luis Ernesto Peña Laguna dédiée aux victimes de la Covid, œuvre chorale et orchestre habilement composée et consensuelle.