Les Hôtesses d’Hilaire sont devenues vieilles

Sur scène, cinq musiciens forment Les Hôtesses d’Hilaire, mais en studio s’en ajoute un sixième, l’arrangeur et réalisateur Pierre-Guy Blanchard. Pensez à lui un peu comme le compas musical du groupe : Pierre-Guy trouve le bon angle.
Au moment de la composition du nouvel album Pas l’temps d’niaiser, il a fait cette recommandation, raconte le chanteur Serge Brideau : « Il m’a dit : “Ne sois pas politique, ne sois pas lourd. Les temps sont assez lourds de même.” Il ne disait pas ça nécessairement pour négliger la réflexion et juste faire de l’entertainment, sauf que pour moi, c’est un tour de force d’écrire des chansons heureuses. Ça ne me vient pas naturellement. »
On ne l’aurait pas deviné s’il ne nous l’avait pas dit. Les Hôtesses d’Hilaire, après tout, est réputé être toute une machine de party. Avec ses chansons à boire et à manger des champignons, l’orchestre acadien revisite l’héritage rock psychédélique des années 1970 à grand renfort de guitares rock et d’orgues rétro.
Une chanson très piña colada
Ses performances sont légendaires : « Au Pantoum hier, je pense que c’était le spectacle où j’ai eu le plus chaud, souffle encore Brideau. J’ai bu du vin pendant le spectacle, mais pas assez d’eau : après le spectacle, j’ai pogné des crampes dans les jambes… Je pense que je vais boire de l’eau pour le reste de la tournée. » Autour de la table du café où est réuni le groupe pour jaser avec Le Devoir, ça ricane. « On vieillit, hein ? » lance Serge Brideau en regardant ses collègues. « On est un washed up rock band ! » ajoute-t-il en faisant référence à la première chanson de ce cinquième album studio, qui paraît aujourd’hui.
Comme le suggérait Pierre-Guy, ça commence tout léger. « Cette chanson nous représente bien, indique Mico Roy, guitariste. On s’en vient vieux, on a un peu peur de devenir ça, un washed up band. »
La chanson est très « piña colada » dans le ton, note le batteur Maxence Cormier, clin d’œil à Escape (The Piña Colada Song), l’unique succès du Britannique Rupert Holmes, réapparu dans l’imaginaire collectif grâce à un film de Marvel et à une pub télé. « Très dadrock — on ne se prend pas trop au sérieux », ajoute-t-il.
Image corporelle et sexualisation
Et pourtant, ce disque pas lourd du tout n’évite pas pour autant les sujets plus délicats. On peut bien rire des « mamelons poilus » que chante Serge Brideau sur le boogie Inconfortable, reste que les gars ont relu cent fois ce texte à propos de l’image corporelle et de la sexualisation des seins de crainte de froisser quelqu’un.
« J’ai beau parler de mes seins poilus à moi, on avait peur d’aller trop loin », admet Brideau, qui a eu l’idée de cette chanson sur le bord de la piscine, chez un ami, alors que la brise caressait ses man boobs. « Je pèse 300 livres, je suis obèse, j’ai de petits seins, l’idée m’est venue : et si j’étais une femme, seins nus ? On conteste l’hypersexualisation, mais c’est tout de même un sujet délicat. Est-ce que ça sonne comme si on s’en moquait ? »
Un dilemme semblable surgit à la découverte de la chanson Mémére, récit d’une rocambolesque journée de funérailles. Le texte est hilarant, « mais l’histoire est fuckin’ triste ! » relate Mico.
Hilaire à Joe Brideau
C’est une histoire racontée par un ami de Serge, Éric Thibodeau — mentionnons-le puisque le groupe lui attribue la paternité du texte. « Éric, c’est un pote à moi, on travaille ensemble. Ce gars-là mérite qu’on fasse un film sur sa vie ; il l’a eue super rough et vient d’une famille avec des personnages super colorés. » Tout est arrivé tel quel lors des funérailles de Mémére, « ce sont même de vraies répliques » lancées par Éric, souligne Maxence.
Cinquième album studio du groupe, Pas l’temps d’niaiser n’a assurément pas la vision ni l’ambition de Viens avec moi (2018), l’opéra rock portant (notamment) sur l’opposition entre l’art et le divertissement que le groupe a présenté sur de nombreuses scènes de l’est du Canada.
L’aventure a toutefois laissé des traces dans le son du groupe, paradoxalement plus doux (l’arrivée de Rémi Arsenault, à la basse et aux chœurs, a poussé les gars à mieux travailler les harmonies vocales) et plus expérimental qu’autrefois — il y a quelque chose de la folie de L’Infonie sur ce fascinant album. En témoignent ces chansons quasi instrumentales construites avec les messages vocaux que laissait Serge aux membres du groupe.
L’album se termine toutefois sur une note particulièrement touchante. Hilaire à Joe Brideau, en hommage à « Hilaire », père de Serge et muse des Hôtesses. Décédé le 14 mai 2021, selon ses propres vœux. « Il a demandé l’aide médicale à mourir, on s’est réunis pour lui, c’était super beau, raconte Serge. Il avait pris sa décision deux jours plus tôt. »
Un beau moment
Maxence le coupe : « C’était un super beau moment, et il était beau, lui, jusqu’à la fin. » Mico témoigne : « Ce n’est pas commun ; on savait que c’était la dernière fois qu’on le verrait. » Maxence et Mico aussi ont récemment perdu leur père, souligne Serge. Il parle du sien comme d’un personnage « plus grand que nature, qui avait aussi un côté un peu sombre. Jamais je n’avais parlé de lui de même dans une chanson, avant, tout ce que je chantais à propos de lui était positif. Mais j’ai pu faire la paix avec mon père il y a longtemps, et je me considère comme chanceux d’avoir pu le faire ».
« On est quatre frères dans la famille, on a joué de la musique pour lui, continue Serge. On avait acheté du champagne. À un moment donné, il s’est levé en disant : “C’est l’heure, je suis fatigué. Le pape est pas bon pour faire des speechs, le père Brideau est pas meilleur.” Il a pris sa shot de champagne et est parti dans sa chambre. Ça m’a fait du bien d’écrire cette chanson. »