L’habile opportunisme musical de Francis Choinière

La musique de film est le substrat de base sur lequel s’est établi l’édifice Choinière. «Le seigneur des anneaux» a été l’opus 1 de la carrière du jeune chef.
Photo: Marie-France Coallier Le Devoir La musique de film est le substrat de base sur lequel s’est établi l’édifice Choinière. «Le seigneur des anneaux» a été l’opus 1 de la carrière du jeune chef.

Samedi soir, à la Maison symphonique, Francis Choinière dirigera Les planètes de Gustav Holst avec l’Orchestre et le chœur FILMharmonique. C’est un nouveau concert du jeune chef de 25 ans, qui a déjà dirigé en ces lieux le 13 février, les 11 et 18 mars, ainsi que les 2 et 9 avril.

« Depuis mars 2020, durant la pandémie, nous avons donné presque 100 concerts au Québec, nous dit Francis Choinière. La plupart sont de petits concerts qu’on a fait tourner à Montréal, à Gatineau, à Sherbrooke et à Québec. Mais cela nous permettait de continuer à engager des artistes. » Alors que certains ont été paralysés par la pandémie, Francis Choinière est allé de l’avant, multipliant les projets.

Dès la fin des restrictions sur les spectacles, il a investi la Maison symphonique avec des spectacles très divers : Requiem de Fauré et Requiem pour chœur et orgue de Duruflé, L’univers symphonique du cinéma, un concert du trio vocal Trio Lyrico, le Concerto de Québec de Mathieu et la Symphonie du Nouveau Monde, puis le couplage de la Symphonie fantastique et du Boléro, un concert qui nous a amenés à nous pencher de plus près sur ce musicien et entrepreneur audacieux.

Deux tableaux

 

Le jeune chef, titulaire d’une maîtrise en direction d’orchestre à l’Université McGill auprès d’Alexis Hauser, qui a suivi des classes de maître auprès de François-Xavier Roth, de Yoav Talmi et de Colin Metters, fut, de 2018 à 2020, chef du Chœur Fernand-Lindsay au Festival de Lanaudière et, en 2020-2021, chef adjoint de l’Orchestre du Centre national des arts sous la direction d’Alexander Shelley. Il se présente dans la biographie diffusée par son agent artistique comme « musicien polyvalent, actif en tant que chef de chœur et chef d’orchestre, producteur de concerts, pianiste, et compositeur ».

Dans ses opérations en tant que chef, Francis Choinière peut jouer sur deux tableaux. D’abord sur celui de l’Orchestre philharmonique et Chœur des mélomanes (OPCM), dont il est le directeur artistique et chef d’orchestre et qui programmait, par exemple, le concert Mathieu/Dvořák du 2 avril. Et sur celui de GFN Productions, dont il est président et cofondateur (avec son frère Nicolas et Gabriel Felcarek). C’est GFN qui s’est adjoint les services du très expérimenté Denis Chabot, spécialiste de la constitution d’orchestres ad hoc et qui rassemble, au fil des projets, l’Orchestre FILMharmonique que nous avons entendu jouer Berlioz et Ravel le 9 avril et que nous réentendrons samedi dans Les planètes. Ce groupe comprend des musiciens de l’Orchestre symphonique de Montréal (OSM), de l’Orchestre Métropolitain (OM) et d’autres musiciens québécois.

En concert cette semaine

Le trio Han-Setzer-Finckel au
Ladies’ Morning Musical Club, dimanche à 15 h 30 à la salle Pollack.

 

Les Violons du Roy reçoivent
le violoncelliste et chef Nicolas Altstaedt le vendredi 6 mai à 14 h et à 19 h 30 à Québec (Palais Montcalm) et le samedi 7 mai à 19 h 30 à Montréal (salle Bourgie).

« Il n’existe pas un orchestre où l’on voit toujours les mêmes musiciens. Avec l’Orchestre FILMharmonique, nous avons une base régulière de musiciens que l’on retrouve dans presque toutes les productions, nous dit Francis Choinière. Je suis très honoré de travailler avec des musiciens de haute qualité qui ont tant d’expérience. Et, parce qu’ils ont tout joué, ils sont très excités de découvrir un répertoire. Ils sont donc très motivés en répétition et c’est gratifiant. » Francis Choinière ajoute toujours des œuvres de l’univers du cinéma à ses programmes. Des musiques de Hans Zimmer (Interstellar) et de John Williams (E.T. l’extraterrestre et Star Wars) seront associées à la célèbre suite symphonique de Holst.

Le cinéma

 

La musique de film est le substrat de base sur lequel s’est établi l’édifice Choinière. Le seigneur des anneaux a été l’opus 1 de sa carrière. Prendre pied dans le métier de l’accompagnement en concert d’œuvres cinématographiques n’est pas évident. Les studios hollywoodiens, très protecteurs, favorisent souvent des chefs qu’ils ont cooptés. « Nous nous sommes attaqués à la plus grosse production existante dans ce répertoire. J’étais chef de chœur et je voulais que mes chœurs chantent dans une production. Le seigneur des anneaux était l’une des plus imposantes musiques pour cela. »

« La première production a été la plus difficile à monter : il fallait prouver qu’on “pouvait le faire”. C’est pour cela que Denis Chabot s’est joint à nous : nous avions besoin de cette expérience. Comme Denis, j’avais été impliqué dans plusieurs autres productions, par exemple préparer des chœurs pour Bocelli ou Hans Zimmer. » Ces deux expériences communes ont aidé le tandem à convaincre les studios à présenter des films avec des musiques de Howard Shore. « Pour le premier concert, je n’étais donc que chef de chœur », se souvient le chef.

Le projet a démarré de là, avec une analyse limpide : « Beaucoup d’orchestres dans le monde présentent de la musique de film, mais l’OSM et l’OM en font très très peu, donc il y avait cette ouverture, il y a trois ans, de proposer ce répertoire, parce que les deux orchestres majeurs ne le faisaient pas, contrairement à Toronto et même à Québec, qui ont des ciné-concerts. »

« Cette ouverture presque exclusivement pour nous à Montréal nous a permis d’établir l’Orchestre FILMharmonique. » La nouveauté apportée en 2021 et en 2022 est que cet orchestre est désormais constitué pour « ouvrir le répertoire symphonique, mettre en valeur les trames sonores, mais aussi la musique classique ».

Bien vite après Le seigneur des anneaux, GFN a monté Star Wars. Un nouvel espoir, Fantasia et Titanic, puis «Les deux tours», second épisode du Seigneur des anneaux. C’est ce spectaculaire concert à la salle Wilfrid-Pelletier qui avait attiré l’attention du Devoir sur GFN et le FILMharmonique. Nous étions le 2 mars 2020.

Un second créneau

 

Fantasia a été un déclencheur : l’expérience du classique à l’image a donné l’idée de proposer les grands classiques du répertoire. La première intrusion dans ce créneau devait se faire avec les Quatre saisons mettant en vedette la violoniste Isabella d’Éloize Perron. « Le concert a été reporté trois fois », se souvient Francis Choinière, qui a eu plus de chance récemment et vient d’enchaîner la Symphonie du Nouveau Monde avec l’OPCM, et la Fantastique avec le FILMharmonique. Nous retrouverons cet orchestre dans Les planètes samedi, alors que le dernier concert de l’OPCM sera consacré à Carmina Burana, le 28 mai.

Ce type de programmation est courant dans les grands centres urbains. Par exemple, à Paris, des sociétés de concerts comme Pasdeloup, Colonne ou Lamoureux ont fleuri sur le grand répertoire et la révélation de jeunes chefs et solistes. Y a-t-il, là aussi, un créneau particulier qui s’ouvre au Québec, d’autant plus que les grands orchestres subventionnés, en jouant la carte « inclusion / diversité / représentativité », semblent délaisser le cœur du répertoire ? « Bien résumé : c’est exactement ça qui ouvre l’espace ! » rétorque Francis Choinière. « Avec les nouvelles subventions, le choix de répertoire pour être subventionné est très limité. J’ai un peu ces contraintes avec l’OPCM : il faut rentrer dans les créneaux si l’on veut avoir du financement. Mais avec la maison de production GFN, je ne subis pas cela et nous programmons vraiment les projets les plus vendeurs, avec les œuvres qui, à travers le temps, ont prouvé qu’elles attiraient le public dans les salles de concert. »

Cela dit, comme pour l’expérience d’un orchestre accompagnant un film, l’auditeur ne saurait faire de compromis sur la qualité pour le plaisir d’entendre la 40e Symphonie de Mozart ou le Boléro de Ravel. C’est là qu’intervient l’habileté de Denis Chabot dans la constitution de l’orchestre et le plaisir que nous avons eu, jusqu’ici, de suivre les prestations de Francis Choinière. Le chef de 25 ans n’est pas intimidé par les musiciens d’expérience en face de lui : « Je ne suis pas un chef qui contrôle tout. Je laisse de l’espace pour la musicalité. J’ai travaillé six ou sept fois pendant la pandémie avec Jean-Sébastien Roy, un violon solo exceptionnel qui rassemble le groupe. Tout le monde a des idées et j’ai tellement de joie, tellement de passion, que je me sens très à l’aise dès la première répétition, que je dirige le Boléro ou de la musique de film. »

L’OPCM et GFN Productions ont déjà réservé leurs dates à la Maison symphonique pour les prochaines saisons. « Deux ciné-concerts l’année prochaine et deux ou trois concerts symphoniques. Ce n’est pas une grosse saison : il faut un peu d’espace et donner à tous l’occasion de recharger les batteries », avance Francis Choinière. Gageons que d’autres projets vont naître en cours de route.

Les planètes

L’orchestre FILMharmonique. À la Maison symphonique, le samedi 30 avril, 19 h 30.



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