Robert Ouimet, roi de la vie nocturne montréalaise, est décédé

La nuit montréalaise a perdu son bâtisseur le plus important en Robert Ouimet, compositeur, remixeur et DJ, décédé subitement à l’âge de 74 ans.
Sacré meilleur DJ en Amérique du Nord par le magazine Rolling Stone en 1976 et DJ de l’année en 1977 par Billboard, sa notoriété avait dépassé les frontières de la province durant l’ère disco, au cours de laquelle il officiait aux platines de la mythique boîte de nuit Lime Light, de 1973 à 1981. Grâce à son talent et à son redoutable flair pour les nouvelles musiques, il a permis au public de découvrir le new wave dans les années 1980, puis le house, dont il fut l’un des pionniers au Canada, remportant un prix Juno en 1994 pour l’une de ses compositions.
Le musicien et DJ Christian Pronovost, autre figure de proue du nightlife de la métropole, dit avoir tout appris du métier aux côtés de son idole, devenu ami et collaborateur. « Il m’a montré, à moi et beaucoup d’autres DJ à Montréal, ce que c’était que d’avoir de la vision. Il disait : “Si la musique existe, elle doit être jouée.” » Ce à quoi Robert Ouimet s’est consacré pendant plus de 50 ans.
« Dans les années 1970, Montréal avait beaucoup de clubs et d’excellents DJ, mais Robert Ouimet était dans une classe à part », explique Pronovost en se rappelant ses nuits passées au Lime Light, rue Stanley. « Il fut le premier à gagner le respect de tous les autres DJ en ville, c’était un intouchable. Robert ne se contentait pas de jouer les disques simplement pour faire danser les gens : il était convaincu qu’il y avait de la musique qui méritait être partagée. »
Originaire de Saint-Jérôme, Robert Ouimet a fait ses débuts au Love, rue Guy, « un petit club, comme un petit Lime Light avant le Lime Light, avec le même genre de clientèle, un mélange de straights et de gais et une sélection musicale surtout R&B », se remémorait-il en 2016 lors d’une conférence organisée à Montréal par la Red Bull Music Academy. C’est au Love que les patrons du Lime Light ont repéré le talent de Ouimet, qui conférera aux lieux le statut de temple du disco, rivalisant même avec le célèbre Studio 54.
Du flair et des grooves
« Sa contribution fut d’avoir vraiment été le premier [au Québec] à mixer [deux disques] sur le tempo — avant lui, les DJ laissaient jouer un 45 tours et, lorsque la chanson se terminait, sur le fade out, ils en partaient un autre », explique Pierre Gagnon, membre du trio PAJ Disco Mix qui, entre 1976 et 1978, confectionnait sur ruban magnétique des montages uniques de chansons disco que Ouimet diffusait ensuite dans ses soirées.
« Il a vu en nous quelque chose que personne d’autre ne faisait à l’époque. Sans lui, PAJ Disco Mix n’existerait tout simplement pas », comme plusieurs autres musiciens de l’époque, d’ailleurs, tels que Lime, France Joly et Gino Soccio, qui n’auraient sans doute pas obtenu un si grand succès sans l’appui de Ouimet, qui témoignera dans la série documentaire D.I.S.C.O., en ondes dès le 26 avril sur la plateforme VRAI de Vidéotron.
Son flair pour les bons grooves est devenu au moins aussi légendaire que le Lime Light : le Montréalais se rendait chaque semaine à New York pour dénicher des disques introuvables au Québec et fraterniser avec les collègues DJ américains. On lui attribue d’ailleurs le succès de la chanson The Mexican de Babe Ruth, qu’il fut le premier à faire tourner en discothèque pour ensuite partager sa découverte avec les New-Yorkais Steve D’Aquisto et David Mancuso, célèbre animateur des fêtes au club The Loft.
« C’est lui, le père du disco au Québec, notre plus grande tête d’affiche de l’art du mixage et de la vie nocturne », insiste Pierre Gagnon, qui se souvient même de la première fois où il a entendu Robert Ouimet à l’œuvre au Lime Light : « C’était le 7 juin 1976, je me souviens même de ce que Robert jouait lorsque Germain, le bouncer, nous a enfin laissés monter à l’étage : You’ll Never Find Another Love Like Mine de Lou Rawls, qu’il a mixée avec Lowdown de Boz Scaggs. »
Au-delà du disco
Mais l’héritage de Robert Ouimet ne se limite pas au disco, auquel il se refusait d’être réduit, affirme Daniel Hadley de la boutique La fin du vinyle, qui avait fondé avec le regretté DJ la compagnie de distribution Nice Music.
Après avoir quitté le Lime Light, Ouimet a jeté son dévolu sur le new wave, puis embrassé le mouvement house dès ses balbutiements à Chicago, à Detroit et à New York. « Il était fier d’avoir réussi à surpasser la scène disco pour s’imposer sur d’autres scènes musicales », dit Hadley, qui salue sa grande curiosité pour toutes les musiques. « En tant que DJ, il puisait son énergie dans celle des gens qui dansaient, c’est cet échange qui le gardait jeune. »
Tout en poursuivant sa carrière de DJ, Robert Ouimet s’est tourné dans les années 1990 vers la production musicale et la réalisation, notamment avec le compositeur Miguel Graça ; le duo, sous le nom Red Light, a obtenu plusieurs succès sur les planchers de danse, notamment avec la chanson Thankful, Juno du meilleur enregistrement dance en 1994.
Jusqu’à son décès, il proposait encore des sessions musicales sur ACXIT Radio et collaborait avec Christian Pronovost sur les événements Mundo Disko.