Avec «Soul Urge», Modlee a trouvé son équilibre

S’il y a une idée à retenir de l’album «Soul Urge», que lance Modlee, c’est celle d’une quête identitaire. 
Photo: Francis Vachon Le Devoir S’il y a une idée à retenir de l’album «Soul Urge», que lance Modlee, c’est celle d’une quête identitaire. 

S’il y a une idée à retenir de Soul Urge, l’album que lance aujourd’hui Modlee — la toute première musicienne à se joindre à Disques 7ième Ciel en presque 20 ans d’histoire —, c’est celle d’une quête identitaire. « Je retrouve le désir de partager ce que je suis et de montrer mes vulnérabilités, affirme-t-elle. J’ai le droit d’être qui je suis. » Une Québécoise née à Montréal d’un père jamaïcain et d’une mère « de souche » qui a passé son enfance dans le quartier Queens de New York avant que la famille ne s’installe dans la capitale. Une boulimique de rap et de R&B, un peu étrangère dans ce pays qui a longtemps levé le nez sur ces styles musicaux. Surtout, à la fois une maman et une artiste.

Dans la bouche de Modlee, l’expression « rien n’arrive pour rien » devient beaucoup moins banale, justement parce que le parcours de l’autrice-compositrice-interprète est tout sauf banal. En 2010, dans la confidence des rares mélomanes québécois s’intéressant au R&B moderne, elle lançait un premier album intitulé AnaloG LovE, suivi de deux microalbums (EP), en 2012 et 2017. Et c’est tout. Jusqu’à ce délicieux Soul Urge, sur lequel sa vision de la soul et du R&B s’exprime sur des musiques toute en retenue signées Vlooper, l’architecte sonore d’Alaclair Ensemble, son conjoint depuis presque 20 ans et le père de sa jeune fille de neuf ans.

La famille et Alaclair Ensemble

« Tu sais, des fois, les choses arrivent drôlement », répond Modlee lorsqu’on s’étonne du temps qu’elle a mis avant d’offrir ce qu’elle considère comme son premier vrai album (et le premier conçu avec le soutien d’une maison de disques). « En tant qu’artiste, je me considère comme une late bloomer, mais ce fut un choix. J’aurais pu m’investir davantage dans ma carrière musicale, j’ai plutôt choisi la vie familiale », au moment où, à la surprise même des membres d’Alaclair Ensemble, le projet du collectif obtenait un succès populaire et commercial.

C’est d’ailleurs le petit secret de la réussite d’Alaclair Ensemble : derrière les membres du groupe, le soutien des femmes de la « famille », Caro Dupont, chanteuse et conjointe de KNLO, et Modlee. Sans elles, Alaclair n’aurait pas atteint les sommets qu’ils connaissent. « On forme une grande famille, abonde Modlee. Nous sommes tous de bons amis, nos enfants jouent ensemble, et sur le plan créatif, on connecte. C’est facile, on se sent chez soi lorsqu’on travaille ensemble. On parle le même langage musical, si tu veux. »

Un langage qui lui vient d’abord de son regretté papa, « un esprit libre », se remémore-t-elle. Dans la maison passaient des disques de gospel, de reggae, « du Leonard Cohen aussi, il était un grand mélomane ». « Durant mon adolescence, une journée d’activités, c’était aller chez un disquaire m’acheter le nouveau CD de Missy Elliott en me disant que c’était le plus beau cadeau que je pouvais m’offrir. Je suis en symbiose avec la musique depuis très longtemps , [...] et ça finit par grandir, ces rêves de jeunesse qu’on a de s’imaginer performer pour un public, sans forcément prendre ça au sérieux », confie-t-elle.

Elle a connu Vlooper au secondaire, et les deux ne se sont plus quittés. Le beatmaker a réalisé tous ses précédents projets, et met sa touche électronique aux rythmiques de cet album dans lequel Modlee chante avec sensibilité et beaucoup de maturité, avec ce brin de voix pincée qu’on a souvent comparée à celle d’Erykah Badu. « Ma voix a beaucoup changé avec le temps », constate Modlee, qui a enregistré elle-même ses pistes vocales dans le studio maison qu’elle a aménagé avec son chum. « Sur Soul Urge, je sens avoir pris mes distances par rapport à Erykah Badu. J’ai enfin ma propre saveur, ma propre identité musicale. Je chante de manière plus posée, parce que j’ai pris le contrôle de mon processus créatif en devenant plus autonome en ce qui concerne l’enregistrement. Ça m’a permis d’entrer en mode exploratoire et de mieux définir mon univers musical », hérité de la glorieuse époque du R&B américain de la fin des années 1990 et début 2000, mais avec un souffle moderne et intime.

Soul Urge est un petit joyau que l’on découvre au moment où le R&B semble enfin retenir l’attention du public et d’une nouvelle génération de musiciens se réclamant de son influence. Il était temps, mais comme le disait Modlee, rien n’arrive pour rien : « Cette fois, je sens que je peux trouver un équilibre entre les deux [identités], être mère et musicienne. Auparavant, je n’étais pas prête à vivre aussi intensément les deux, c’est pourquoi j’ai choisi de vivre ma vie d’artiste dans l’ombre, apparaissant dans des collaborations », sur les projets de KNLO ou encore d’Eman X Vlooper.

Pour la famille, la musicienne reconnaît avoir fait des sacrifices, « mais Vlooper aussi en a fait — ça lui est arrivé de ne pas avoir envie de partir en tournée… Mais il fallait assurer la pérennité [d’Alaclair Ensemble] tout en soutenant la famille. J’ai fait des sacrifices, mais aujourd’hui, ils rapportent, je crois — rien n’arrive pour rien ! J’ai longtemps observé ce qui se passe dans l’industrie de la musique, j’ai vu les amis vivre des choses pas toujours faciles. J’en sors aujourd’hui grandie, plus mature, avec les connaissances nécessaires pour bien naviguer dans ce monde-là et offrir un projet en sachant que, musicalement, j’ai quelque chose de différent à offrir que d’autres font », dit Modlee, qui se réjouit d’être invitée à donner un concert le 6 juillet prochain au Festival international de jazz de Montréal.

Soul Urge

Modlee Disponible via Disques 7ième Ciel

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