Les éditeurs musicaux face à la contestation des artistes

Tout le débat autour du rôle des éditeurs a été lancé par l’artiste Philémon Cimon, qui, après s’en être pris à son distributeur et à son ancienne maison de disques, a récemment publié sur les réseaux sociaux une lettre à charge à l’endroit de son éditeur, Éditorial Avenue.
Photo: Valérian Mazataud Le Devoir Tout le débat autour du rôle des éditeurs a été lancé par l’artiste Philémon Cimon, qui, après s’en être pris à son distributeur et à son ancienne maison de disques, a récemment publié sur les réseaux sociaux une lettre à charge à l’endroit de son éditeur, Éditorial Avenue.

Acteurs méconnus de l’industrie de la musique, les éditeurs ont entre autres le mandat de faire rayonner les chansons de leurs artistes dans l’espoir que ces derniers puissent toucher des redevances en vertu des droits d’auteur. Mais certains remettent aujourd’hui en cause leur contrat avec leur éditeur, vu le peu de revenus qu’il arrive à engendrer. D’autant que ces contrats les obligent souvent à céder à vie une partie des droits d’auteur de leur catalogue à cet intermédiaire.

« Il y aurait quelque chose à revoir [dans les balises encadrant les contrats], car c’est un domaine où il y a peu de règles actuellement. D’autant plus que beaucoup de gens dans l’industrie, que ce soit des artistes ou des maisons de disques, se sont improvisés éditeurs dans les dernières années », se désole David Bussières, guitariste d’Alfa Rococo, et surtout cofondateur du Regroupement des artisans de la musique (RAM).

Pour la musicienne et chanteuse Sabrina Halde, anciennement du groupe Groenland, les éditeurs restent très compétents dans certains contextes, alors qu’ils sont complètement obsolètes dans d’autres circonstances. Elle donne en exemple l’éditeur de Groenland, Third Side Music, qui avait réussi à faire passer l’une des chansons du groupe dans une publicité d’Apple diffusée lors de la cérémonie des Oscar en 2015. Un placement lucratif que le groupe québécois n’aurait jamais réussi à dénicher s’il s’était édité par lui-même.

Il y aurait quelque chose à revoir [dans les balises encadrant les contrats], car c’est un domaine où il y a peu de règles actuellement. D’autant plus que beaucoup de gens dans l’industrie, que ce soit des artistes ou des maisons de disques, se sont improvisés éditeurs dans les dernières années.

« Mais Groenland faisait de la musique en anglais. Si on vise seulement le marché québécois, j’imagine que ça vaut moins la peine de prendre un éditeur, comme il y a moins de publicité, moins de films, moins de séries télé à qui vendre sa musique », nuance Sabrina Halde, qui n’a pas signé de contrat d’édition depuis qu’elle s’est lancée en solo.

Contrat à vie

Tout ce débat autour du rôle des éditeurs dans l’industrie musicale a été lancé une fois de plus par l’artiste Philémon Cimon, qui, après s’en être pris à son distributeur et à son ancienne maison de disques dans les derniers mois, a récemment publié sur les réseaux sociaux une lettre à charge à l’endroit de son éditeur, Éditorial Avenue.

Éditorial Avenue est affilié à Audiogram, aujourd’hui propriété de Québecor. Lorsque Philémon Cimon a signé un contrat avec cette maison de disques en 2010, il raconte qu’on lui a fortement suggéré de s’entendre également avec Éditorial Avenue pour la partie édition de son œuvre. Dans le contrat, qu’il a finalement ratifié sous les conseils d’une avocate, il était indiqué qu’Éditorial Avenue engrangerait 50 % des revenus tirés des droits d’auteur sur les pièces du premier album qu’il allait sortir sous l’étiquette Audiogram. Il était prévu ensuite que l’éditeur prenne 40 % des droits d’auteur sur le deuxième disque, puis 25 % sur le troisième.

On stipulait aussi que le contrat durait six ans. À l’époque, Philémon Cimon croyait qu’il redeviendrait propriétaire de 100 % de ses droits d’auteur à la fin de cette échéance. Or, il a compris plus tard que le contrat le lie en fait à vie à Éditorial Avenue pour les pièces qu’il a créées durant cette période de six ans. C’est donc dire que pour les chansons de l’album L’été, paru en 2014, Éditorial Avenue et Philémon Cimon se partageront les revenus tirés des droits d’auteur jusqu’à la mort de l’artiste. L’éditeur pourrait même rester propriétaire des pièces 25 ans après son décès.

« Je trouve ça incroyable que je n’aie pas compris ça alors que j’avais fait appel aux services d’une avocate. De toute façon, des contrats à vie comme celui-là, ça ne devrait pas être légal. Ils auraient beau me donner 99 % des revenus, il y a quelque chose dans la symbolique que je trouve tordue s’ils restent propriétaires de ma musique à vie », a dénoncé l’auteur-compositeur-interprète en entrevue au Devoir.

Le directeur général d’Éditorial Avenue, Daniel Lafrance, s’explique mal l’indignation de Philémon Cimon. Il soutient que les modalités du contrat ont été clairement rapportées à l’artiste au moment de la signature. M. Lafrance rappelle du même souffle que les artistes ne sont jamais tenus de recourir à un éditeur lorsqu’ils se joignent à une maison de disques.

De toute manière, il ne voit pas en quoi un tel contrat est abusif, d’autant plus qu’il s’agit de la norme dans l’industrie. Avant Philémon Cimon, tous les artistes de l’étiquette Audiogram, de Daniel Bélanger à Jean Leloup en passant par Ariane Moffatt et Pierre Lapointe, ont accepté de céder 50 % de leurs droits d’auteur sur leur premier album à Éditorial Avenue.

« Ces revenus sont un pilier pour nous. Ça nous permet de constituer du patrimoine. Et ça nous permet plus tard d’investir dans les nouveaux artistes. Si je signe des contrats qui durent seulement cinq ans, ma compagnie ne vaudrait rien. Sans ça, on ne pourrait pas signer avec cinq ou six nouveaux artistes chaque année », se défend Daniel Lafrance, selon qui Philémon Cimon n’aurait pas fait beaucoup plus d’argent même s’il s’était édité lui-même.

Métier mal connu

 

Avocat spécialisé en droit des arts, Bertrand Menon soutient qu’il serait difficile de légiférer pour interdire les contrats qui lient à vie les artistes à leur éditeur. Il plaide toutefois pour qu’un large travail soit fait dans l’industrie afin de démystifier le rôle des éditeurs.

« Le problème avec l’édition, c’est que c’est un métier qui est mal compris par la plupart des artistes, mais aussi par les éditeurs eux-mêmes. Beaucoup prétendent être éditeurs au Québec, mais très peu le sont réellement. Quand il y a un contrat avec un éditeur, l’artiste est en droit de s’attendre à ce qu’on administre son catalogue et qu’il y ait des revenus en retour. Mais il y a beaucoup d’éditeurs qui ne font rien de tout ça », constate Me Menon.

Le problème avec l’édition, c’est que c’est un métier qui est mal compris par la plupart des artistes, mais aussi par les éditeurs eux-mêmes

 

L’Association des professionnels de l’édition musicale rétorque en assurant que ses membres ont toutes les compétences nécessaires pour rentabiliser un catalogue. À la Société professionnelle des auteurs et des compositeurs du Québec, on recommande aux artistes qui hésitent avant de signer un contrat d’édition de recourir à leur service de conseil juridique au préalable.
 


Rectificatif: Dans la première version de ce texte, il était mentionné que l'éditeur était copropriétaire des droits d'auteur d'une partie de l'œuvre de Philémon Cimon de manière à engranger des 50 % des revenus sur ces droits. Or, l'éditeur est bel et bien propriétaire à lui seul d'une partie des chansons du chanteur. Tel qu'indiqué au départ toutefois, l'éditeur et Philémon Cimon se partagent les revenus de manière égale, 50-50, sur les droits d'auteur de ces pièces.

 

À voir en vidéo