Le heavy metal comme arme de combat en Ukraine
C’est lourdement reparti. Le heavy metal est encore utilisé comme arme de guerre. L’armée ukrainienne brouille l’écoute des soldats russes en inondant leurs fréquences d’extraits choisis de cette musique, selon des informations diffusées par The Economist.
L’anecdote a le mérite de rappeler l’implication majeure de la musique dans le conflit, mais aussi les défaillances de plus en plus évidentes des systèmes de communication de l’armée d’invasion.
Les appareils tactiques les plus sophistiqués des champs de bataille utilisent normalement des signaux encodés sur des fréquences en constante mutation (jusqu’à 20 000 fois par seconde) pour les rendre impossibles à intercepter et à décrypter. Certains bataillons russes sont effectivement équipés de moyens à la fine pointe de la technologie des communications, dont les appareils portables AR-187P1E Azart.
À l’évidence, il en manque ou ces équipements ne fonctionnent pas comme prévu. Alors, les soldats russes se rabattent sur les appareils courants ; des cellulaires, des radios bidirectionnelles et même de très simples walkies-talkies. C’est là que les Ukrainiens trouvent la faille, puis ciblent la source pour y insérer des diffusions musicales réputées stressantes et pour l’en bombarder.
Une tactique déjà utilisée
Ce n’est pas la première fois que le genre pesant et poilu est utilisé dans un conflit. Les marines ont diffusé des albums de Metallica et de Thin Lizzy pendant la guerre en Afghanistan. Les talibans interdisent la musique et détestent celle-là en particulier, jugée encore plus diabolique. Les soldats américains la reproduisaient donc avec des haut-parleurs surpuissants pour faire sortir leurs ennemis de leurs cachettes en intercalant les plages musicales de messages de propagande.
La drôle de tactique avait été éprouvée en décembre 1989 pour faire sortir le dictateur Manuel Noriega de l’ambassade du Vatican au Panama où il s’était réfugié. Il s’était rendu au bout d’une semaine de diffusion à tue-tête. La liste de chansons utilisée comprenait des tubes d’Alice Cooper, de Guns N’Roses et de Black Sabbath, et du disco, mais pas d’opéra apprécié du président Noriega, arrêté puis condamné pour trafic de drogue.
La « musique forte » a aussi été employée dans les centres de détention américains en Afghanistan, en Irak et à Guantanamo pour les « interrogatoires renforcés » des prisonniers. Dans les manuels militaires officiels, cette technique était connue sous le nom de « futility » puisqu’elle était censée convaincre les détenus de l’inutilité de leur résistance. Des groupes musicaux, dont Pearl Jam, R.E.M. et The Roots ont protesté contre cette forme de torture artistique.
Mobilisation rock
On ne sait pas quelles chansons ont la cote dans la nouvelle version guerrière en Ukraine. Il y a l’embarras du choix juste avec la production nationale.
Le rock et ses déclinaisons ont une longue histoire de mobilisation politique en Ukraine. Quelques rares groupes ont osé défier la forte censure culturelle soviétique dans les années 1960-1970. La pop à l’occidentale a commencé à germer sous la perestroïka. La branche métallisée (black, pagan, folk ou death metal) a particulièrement été utilisée depuis une vingtaine d’années, parfois en s’associant à l’extrême droite. Le pays compte au moins quatre festivals consacrés au metal auxquels participent souvent les vedettes internationales.
La grande communauté rock mondiale s’est mobilisée pour soutenir le pays envahi. Green Day, Iron Maiden, Franz Ferdinand et Nick Cave ont annulé des tournées prévues en Russie. Live Nation, le plus grand promoteur mondial de concerts, a annoncé la suspension de ses affaires en Russie. Le service de streaming Spotify y a fermé ses bureaux. La fédération russe est exclue du concours Eurovision, l’un des plus grands télé-crochets musicaux du monde. Le groupe metal russe Slaughter to Prevail a dénoncé publiquement l’invasion.
Le groupe canadien Billy Talent a été l’un des premiers à annoncer un don à la Croix-Rouge et a encouragé ses fans à suivre l’exemple. Le groupe commence vendredi une nouvelle tournée mondiale au Québec. L’étape européenne devait s’amorcer à Kiev le 28 mai. Le concert est évidemment annulé.
Les riches scènes musicales ukrainiennes ont subi les dévastations de la guerre. La plus spectaculaire transformation concerne l’enrôlement des musiciens dans les forces armées du pays. Tous les genres, de la pop à l’électro, du classique au folk, ont fourni leur contingent de soldats.
Rolling Stone a fait le portrait de deux musiciens enrôlés, dont le chanteur Ivan Kozakevych, leader du groupe Sectorial de death metal atmospheric, maintenant en poste près de la capitale. Il a expliqué que le bassiste du groupe sert auprès de lui. Ils ont croisé d’autres musiciens dans leur unité.
Sviatoslav Vakartchouk, dit Slava, lui, n’a pas cessé de performer malgré la guerre. Depuis le début du conflit, il se produit près des lignes de front, dans les hôpitaux, les abris, les camps de réfugiés et même dans la rue s’il le faut. Son rang de lieutenant dans l’armée nationale facilite ses déplacements.
Sviatoslav Vakartchouk, également ancien député, est une immense vedette dans son pays. Il y a trois ans, un sondage avait révélé que deux Ukrainiens sur trois souhaitaient qu’il se présente aux élections présidentielles.
C’est finalement un autre artiste, Volodymyr Zelensky, qui l’a emporté en avril 2019 avec près de trois voix sur quatre lors du second tour. Il dirige maintenant la résistance de son pays envahi et est devenu une vedette nationale et internationale, probablement maintenant plus admirée que tous rockeurs, rappeurs ou k-popeurs réunis.