Les stars du rock des années 50, 60 et 70 sont là pour rester - Géronto rock

Après 50 ans, le rock vieillit mais ne se rend pas. Bob Dylan s'amène en ville lundi. Santana, mardi. Suivent dans les prochaines semaines Jethro Tull, Supertramp, Ink Spots, Four Lads et autres Mills Brothers. Les Stones rappliquent en janvier 2003. Et tous les moyens sont bons pour durer.
Dylan revient. His Bobness lui-même en personne sera parmi nous lundi, avec sa nouvelle barbe à la Abraham Lincoln, évolution naturelle du récent look Vincent Price arboré par le plus grand poète vivant de l'histoire de la chanson américaine. Et le passage au Centre Molson de celui qu'«on peut appeler Zimmy» (sur l'air de Gotta Serve Somebody), parce qu'il a bel et bien pour nom Robert Allan Zimmerman, est très attendu. À raison. Depuis l'album Time Out Of Mind, paru en 1997, Dylan importe à nouveau. Pertinence au cube. Quand il chante Not Dark Yet, on fait ouf. Pas froid aux yeux, le Dylan. Zieute la mort en face, le Dylan. L'album Love & Theft de l'an dernier n'est pas moins signifiant, sorte de recensement des musiques de racine de l'Amérique.Bon show en perspective, donc. Fameux, à en juger par la liste de chansons relevée par la revue britannique Mojo lors d'un spectacle à Londres: Visions Of Johanna, It's All Over Now, Baby Blue, Cold Irons Bound, Blind Willie McTell, Summer Days, Lonesome Day Blues étaient au programme. Bon show aussi parce que Dylan est en tournée depuis le précambrien. Tel un ouvrier pointant au turbin, comme dirait Gabin, Bob 1er descend de son piédestal tous les soirs et installe son folk-rock, boulon par boulon. Credo du travail qui justifie la vie. C'est son truc à lui pour durer: gage de crédibilité gagnée au jour le jour.
Et les autres? Ses contemporains? Tous ces quinquagénaires, sexagénaires, voire ces octogénaires qui écrivirent les plus belles pages de l'histoire du rock et qui ne sont pas encore trépassés? Eh bien, ils font presque tous comme lui: ils continuent. Comme ils peuvent. Avec dignité ou pas, c'est selon.
Survivre, mode d'emploi
Prenez Supertramp, gloire pop des années 70, groupe britannique chouchou du Québec (tous en choeur: «Dreeeeeamer!»). Retour triomphal prévu au Centre Molson le 4 septembre. Grain de sable dans ce bel engrenage, il s'agit du Supertramp de Rick Davies, pas du Supertramp de Rick Davies AVEC Roger Hodgson. L'un n'allait pas sans l'autre, à la Lennon-McCartney. Même que c'est Hodgson, avec son timbre haut perché, qui chantait la plupart des immortelles. Sans Hogdson, franchement, c'est l'arnaque.
C'est parfois pire. Tiens, les Ink Spots, Four Lads et autres Mills Brothers, champions de la pop à plusieurs voix, seront le 21 septembre à la salle Maisonneuve de la PdA. La belle affaire. Voyez l'héritier John Mills II «rendre hommage à la musique créée par son père et ses oncles», clame le communiqué. Sacrée légitimité. Y aura-t-il dans le lot au moins un Spot original, un Lad des débuts? Rien n'est moins certain. C'est le syndrome Platters: les ayants droit perpétuent le nom et raflent le magot. Même la mort ne tue pas les groupes: les Who, au lendemain du décès de leur bassiste John Entwistle, se produisaient quand même à Las Vegas avec un remplaçant ad hoc.
Chacun fait comme il peut. Ian Anderson tient de moins en moins longtemps en équilibre sur sa patte de flamant rose, mais le public y tient, alors il s'exécute, et s'exécutera encore le 21 août à Wilfrid-Pelletier, flûte en main et Jethro Tull en bandoulière. Carlos Santana, qui débarque ce mardi au Centre Molson, étirera ses solos, taxant une fois de plus le capital de sympathie gagné avec l'album Supernatural, inondé de Grammys. Les Guess Who surfent également sur le succès de leur tournée-retrouvailles d'il y a deux ans et n'en finissent plus de revenir: on a d'ailleurs failli les ravoir, mais le spectacle annoncé au Bourbon Street North a été annulé. Annulée, itou, la visite des vieux de la vieille recyclés en cover band chantant les Beatles sous la bannière A Walk Down Abbey Road: l'ex-Cream Jack Bruce, Alan Parsons, Christopher Cross, l'ex-Grand Funk Railroad Mark Farner, Todd Rundgren ne parvenant plus à remplir des salles sous leur seul nom, ils se réfugient sous un plus large chapeau. Vous avez dit pathétique?
Nobles et roturiers
Survivre, voilà le drame. Les rock-stars qui n'ont pas eu la veine de se taper une overdose fatale (Jimi, Janis), de s'étouffer dans leur festin de la veille (John Bonham, batteur de Led Zep) ou de s'écraser avec leur avion (Buddy Holly, Stevie Ray Vaughan) en arrivent à ce moment de la vie où, à la bête manière du commun des mortels, ils risquent bien plus de succomber à des cancers, anévrismes, crises cardiaques et autres tares de ce «naufrage» qu'est la vieillesse, pour reprendre le mot d'Yvon Deschamps. Ces fins tristounettes seront légion au Chez-nous des gloires du rock dans les années à venir: ainsi, c'est après des mois de chimio que George Harrison nous a quittés.
Survivre, voilà le bonheur. Surtout quand on est britannique. La reine anoblit plus vite que son ombre: après Sir Paul McCartney, Sir Elton John et Sir Cliff Richard, voilà que Mick Jagger a sa place à la table des aristos du rock. À qui le tour? Keith Richards? Ray Davies? Ozzy? Ne riez pas. Ozzy Osborne, celui-là même qui bouffait des rongeurs sur scène au bon temps de Black Sabbath, a trouvé un fumant truc pour durer. Son reality-show câblé, The Osbornes, chronique de la vie quotidienne de sa propre famille dysfonctionnelle (extrait gratuit: «I'm a fucking rockstar, I don't take out the garbage!»), est un tel succès que CTV rediffusera dès l'automne la première saison. Et pour cause: ce quotidien ressemble furieusement au nôtre. C'est toujours mieux que de vendre son catalogue à la pub.
Bonheur ou drame, le fait est patent: les stars du rock des années 50, 60 et 70 sont là pour rester. À 75 ans, Chuck Berry gâche tous les soirs son Johnny Be Goode quelque part, et les Rolling Stones fêteront leur 40e anniversaire de scène dans toutes les banques de la planète rock cet hiver (y compris à Montréal, le 8 janvier). Doit-on s'en réjouir? Non. L'usure est un irritant. Consolons-nous à l'idée que tout ce beau monde sera mort autour de 2040. À quelques clones près. Et concentrons-nous d'ici là sur ceux qui n'ont justement pas peur de vieillir et qui regardent le présent dans les yeux: Springsteen, Emmylou Harris, Johnny Cash, Ray Davies.
Et Bob Dylan. «Things have changed», chante-t-il aujourd'hui, presque quatre décennies après avoir écrit The Times They Are A-Changin'. Ce qui a surtout changé, c'est que la fin est maintenant en vue. De fait, après Little Richard, Cher vient d'annoncer à son tour qu'elle prend sa retraite. Après son Farewell Tour, évidemment.