«Chiac Disco», pas d’banjo pour Lisa LeBlanc

L’autrice-compositrice-interprète Lisa LeBlanc
Photo: Marie-France Coallier Le Devoir L’autrice-compositrice-interprète Lisa LeBlanc

Mais comment peut-on raffoler follement de Chiac Disco quand on a un jour juré : jamais le disco ? On parle ici très précisément du dissssco dissssco poum poum tac tac dissssco dissssco de 1975-1980, Boogie Oogie Oogie, Boogie Nights et autres Boogie Wonderland. En deux mots, Disco Inferno ! En deux plus gros mots : Disco Sucks !

Reformulons : comment peut-on aimer à ce point le nouvel album résolument disco de Lisa LeBlanc quand on a tant aimé la Lisa LeBlanc folk et rock et cajun, l’amoureuse de Fleetwood Mac ? « Mission accomplie ! lance Lisa en pouffant très fort au bout du fil (oui, du fil, on est vieille école). Yessssss ! » Mais sait-elle pourquoi, parce que c’est elle, on dit oui et on s’élance sur la piste de danse ? « Je connais des gens qui ont vécu le disco for real, dans leur adolescence, et pour qui c’est comme going to the dark side of the force ! » Elle triomphe dans le combiné, les oreilles en grésillent. « C’est le recul qui permet tout, je pense. Je sais pas comment je me serais sentie dans ces années-là avec cette musique-là. » Fallait choisir son camp. On ne pouvait pas être à la fois Motörhead (dont elle a repris l’épique Ace of Spades) et KC avec son Sunshine Band. « Blasphème ! »

« Il y a assez de temps qui a passé pour que l’oreille entende le bon qu’il y avait là-dedans. Quand tu décortiques, quand tu approfondis Chic, Nile Rodgers, c’est incroyable à quel point le funk, le jazz sont génialement intégrés là-dedans. Le degré d’excellence des musiciens est hallucinant. Si tu trippais pas à danser, tu pouvais facilement rejeter tout ça sans comprendre la qualité vraiment supérieure de la musique et des musiciens. » Elle en dit autant de sa petite équipe de champions : « Mico Roy et Léandre Bourgeois, des Hôtesses d’Hilaire, mon complice Ben Morier, ils ont vraiment cherché à recréer les sons et les rythmes avec une précision maniaque. L’idée, c’était que ce soit du disco parfait. Ça pouvait pas être tout croche. »

La faute à Belinda

C’est la faute à Belinda, tout ça, non ? (Le disque précédent de Lisa, faut-il rappeler, était un décrochage volontaire et ludique dans l’univers du bingo, où la chanteuse incarnait une Belinda plus vraie que nature. Un régal de décalage contrôlé.) « Ça a été une permission jouissive. Y aller à fond, juste pour niaiser. Mais en écrivant de la grosse niaiserie, all of a sudden, j’ai eu du fun. Comme j’avais pas eu depuis longtemps. J’étais portée. J’étais dans une période où j’avais de la misère à écrire, je trouvais que je ressemblais de plus en plus à une vieille version de moi-même. Banjo Lisa again, guitare Lisa again, ma vie c’est d’la marde again… Ça me gossait. » Belinda à la rescousse. « Elle m’a libérée de moi ! C’était du bingo disco over the top, pour le fun. Ça a rouvert les vannes de la créativité. »

Et Lisa LeBlanc, qui s’était aussi lâchée lousse en réalisant l’album de la très libre et non moins formidable Édith Butler, a retrouvé l’état d’avant le premier album, avec toute l’expérience de la suite : la marge de manœuvre, la verve, le sens de la caricature, sa manière de dire ce qu’elle ressent au service du piétage ultraprécis du disco. Dès le premier titre, Pourquoi faire aujourd’hui, une ode à la procrastination, sa liste de choses à faire est un miracle d’exactitude, un bonheur de prosodie en vers de quatre pieds. « Passer l’balai / passer la moppe / app’ler ma mère […] sortir dehors / ça m’f’rait pas d’tort » : imaginez Upside Down de Diana Ross avec ces mots-là. C’est la bonne pointure.

« La voix est comme un instrument. Faut que ça rentre dans les temps. La contrainte, quand t’écris et que t’es inspiré, c’est parfait pour quelqu’un comme moi. Les lignes me viennent dans le beat, ça attend pas. » Dans le portrait de société qu’est Gossip, un fabuleux funk façon James Brown, on est téléportés au Tim Horton’s ET sur la piste de danse avec Lisa : « Gossip / J’vas au Tim Horton’s pour savoir / quoi-ce que c’est la gossip / Un café doub doub avec trois Timbits / Gossip / gossip / j’veux savoir la gossip ». La syncope du rythme s’entend jusque dans les mots : gossss-sip, gossss-sip ! Doub-doub Tim-bits ! Magistrale récréation !

Le disco à la Lisa permet de tout dire. « Il y a trois sujets dans l’album. Il y a des chansons qui parlent du côté “overproductivité” que je trouve pas mal mongol en ce moment, l’obsession malsaine que j’exprime de deux bords, dans Pourquoi faire aujourd’hui et Dans l’jus. Au fond, ce que je dis, c’est : lâchez-nous patience ! Je peux-tu relaxer un tit peu sans que quelqu’un vienne me dire comment être heureux ? » Une poignée de chansons, les plus descriptives et les plus locales, sont presque des scènes de la vie à Rosaireville et aux alentours : Gossip, Gossip II, Le menu acadien.

Danser pour aller mieux

 

Et, mine de rien, s’immiscent dans le lot des chansons qui posent la question qui compte : comment on fait pour être bien ? Entre toi pi moi pi la corde de bois, dont le propos « pèse une tonne », aurait été presque insupportable en folk intimiste : « Si ça continue de même / j’me perdrai p’t-être dans les craques du couch / J’irai rejoindre les miettes de chips ». Le disco-funk est ici salvateur, et ouvre le terrain aux deux titres les plus révélateurs et pas du tout disco de l’album : La poudre aux yeux, avec ses arrangements de cordes tragiques et son solo de guitare à la Wichita Lineman, de Glen Campbell, et puis la très, très tendre et très acoustique Me semble que c’est facile, avec son intro style Stairway To Heaven (c’est fait exprès).

« J’aime ben la personne que chu /quand j’suis avec toi / Pi j’aime ben la personne que t’es / quand t’es avec moi », chante-t-elle doucement : une sorte de suite à Kraft Dinner, dix ans plus tard. « Ça prend de l’entretien, comme je dis dans la chanson, mais je pense maintenant que ça se peut, à long terme, une relation saine. » La grande bringue disco des spectacles à venir ne sera pas qu’un défoulement. « Ça va être fou, mais ça va surtout être du bien-être. »

Chiac Disco

★★★★ 1/2

Lisa LeBlanc, Bonsound

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