Ralliées autour de Marjo

Télé-Québec consacre la meilleure heure de sa programmation de la Journée internationale des femmes à la rockeuse.
Photo: Félix Renaud / Télé-Québec Télé-Québec consacre la meilleure heure de sa programmation de la Journée internationale des femmes à la rockeuse.

C’est tranquille, à Saint-Adrien. Un village paisible, l’hiver. Mais plus on se rapproche de l’église transformée en studio qui se fait appeler « le chalet à Pilou », plus on entend des bruits à travers les craques. Branchements d’amplis, une guitare que l’on achève d’accorder. Et puis vlan ! Riff rock dans le tapis ! L’intro de guitare, le petit motif caractéristique au clavier, et puis cette voix qu’elle a. Forte, très forte. « J’lâche pas, j’attends pas d’crever ! » Marjo, en gros plan, semble prête à mordre la caméra. Et arracher un morceau de chair à toutes celles et tous ceux qui visionneront mardi, Journée internationale des droits des femmes, l’émission que Télé-Québec a placée au cœur de sa programmation spéciale : Marjo — Amoureuse.

Marjo, elles… et lui

Une heure avec elle dans un bel écrin, c’est l’idée toute simple. Avec la participation d’autres femmes, avec elle et autour d’elle, ralliées pour l’occasion. Femmes de paroles et musiques, interprètes, musiciennes : Salomé Leclerc, Lou-Adriane Cassidy, Stéphanie Boulay, Guylaine Tanguay, Fabiola Nyrva Aladin, Marie Ève Morency. Il y a aussi une poignée d’hommes : le Pilou du chalet, quelques vétérans musiciens. Et… celui qui écrivit la musique de J’lâche pas sur les mots de Marjo : un certain Jean Millaire. Le complice des grandes années Marjo, la décennie 1985-1995, où tout le monde avait dans sa collection de base les albums Celle qui va, Tant qu’il y aura des enfants, Bohémienne, tous créés par elle avec le gars des riffs qui ne disait jamais trois mots en entrevue. Le Jean Millaire dont Marjo est dissociée depuis leur rupture douloureuse au début du présent siècle : 22 ans, ça fait longtemps.

Ce ne sont pas vraiment des retrouvailles. Plutôt une trêve, le temps de deux duos. Ailleurs et Doux. Tendresse et tension. Une prise par chanson, that’s it. « Merci pour ta belle guitare, Jean », lui dit-elle en guise d’au revoir. Il reviendra pour la finale, gros solo de guitare. Mais ça reste l’émission de Marjo. Une chanteuse avec d’autres chanteuses qui l’aiment et l’admirent. Profondément. « Impossible de ne pas penser à elle quand je repense à mes débuts, à ces moments déterminants où les modèles féminins musicaux étaient importants », témoigne Salomé Leclerc. Souvenir précis. « J’étais ado, je venais tout juste d’acheter ma première guitare électrique, et une des chansons que j’ai voulu apprendre est Amoureuse. »

Marjo la libératrice

 

Pour Stéphanie Boulay, il y a toujours eu une Marjo. « Ma mère s’appelle Marjolaine, à la base… Évidemment, j’ai grandi avec ses chansons. L’une des premières chansons que j’ai chantées sur scène, c’était Tant qu’il y aura des enfants. Mon amour pour Marjo est vraiment viscéral. » Elle ne manque pas d’anecdotes pour le signifier. « Il y a quelques années, j’ai appris que Marjo faisait une tournée, mais il n’y avait plus de billets nulle part. J’ai finalement trouvé UN billet, et j’ai été toute seule la voir à Québec. Je me suis pris une chambre d’hôtel pis toute. C’était vraiment incroyable, la vibe. Il y avait des femmes qui étaient complètement transportées. Je me souviens d’une fille qui voulait vraiment se lever et danser, mais son chum lui disait : “non, non, assis-toi, ça me gêne”… Et autour d’elle, le monde disait : “lève-toi !” Il y avait vraiment une sensation d’émancipation féminine dans ce show-là. »

On croirait entendre Marjo elle-même, au Théâtre du Forum en 1995, tutoyant sa foule trop assise à son goût : « Tu bouges-tu un peu ? » avait titré Le Devoir. Pendant Chats sauvages, elle en avait remis une couche : « Tu siffles-tu, toé ? » Intraitable Marjo ! C’est bien elle que l’on retrouve, même sans public, intense pas à moitié dans toutes les performances de l’émission. Convaincre, émouvoir, partager, séduire, c’est tout elle. Hier comme aujourd’hui. Il suffit de lui fournir l’occasion, et elle va vous soulever. Comment expliquer toutes ces années hors circuit ? L’a-t-on vraiment considérée comme ingérable dans le métier ? Explication de Stéphanie Boulay : « Marjo est sous-estimée parce qu’elle ne représente pas une élite intellectuelle, mais plutôt le vrai monde. ET parce qu’elle a toujours été belle. Et qu’on l’a vue comme un sex-symbol d’abord, même si sa musique a toujours été plus importante que son look. »

Admiration et respect

 

Quelle place tient Marjo dans votre cœur, vos oreilles, votre histoire ? Ça dépend à qui on parle.

« Je n’ai jamais écouté de Marjo en grandissant », avoue Lou-Adriane Cassidy. « J’ai même plutôt grandi dans le mépris de ce genre de musique un peu “variétés”. À l’âge adulte, j’ai pourtant mesuré l’impact de ces chansons dans la vie de tellement de gens, et j’ai compris leur force rassembleuse. J’ai découvert et aimé Marjo sur le tard, je la trouve extrêmement inspirante, tellement forte et frondeuse. C’est un rapport différent, moins nostalgique que plusieurs, mais j’ai développé beaucoup d’admiration et de respect pour ce qu’elle a représenté et ce qu’elle représente toujours. »

Célébrer une Renée Claude ou une Renée Martel va de soi. Pour les rockeuses, la reconnaissance est, à vie, un combat. Une Pat Benatar, par exemple, est refoulée depuis des années à l’entrée du Rock’n’Roll Hall of Fame : elle est encore pressentie, ça pourrait être la bonne fois. Peut-être le temps est-il venu aussi pour une Marjo. Une évidence, selon Salomé Leclerc : une fois qu’on croise son chemin, on comprend. Admiration, respect. Mots-clés. « J’ai juste encore plus d’admiration et de respect pour la femme, la chanteuse et la personne qu’elle est. »

Marjo — Amoureuse

Réalisation de Jill Niquet-Joyal et Marie-Josée Proulx

Télé-Québec, mardi 8 mars à 20 h.

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