Jazz - À deux voix

Hhhhoooo! qu'on murmure avant qu'ils aient terminé l'introduction de Doxy, petite pièce écrite par Sonny Rollins dans sa jeunesse. Houlala! qu'on s'exclame lorsqu'ils amorcent le développement de Doxy. Leur truc, c'est pas de... comment dire? Tiens, si on était pâtissier, on noterait qu'ils sont davantage Paris-Brest que tarte tatin. Parce que, pour ce qui est de la confection de pièces montées, de gâteaux versaillais, mettons qu'ils ne sont pas des faces d'anchois ou, traduction locale oblige, des deux de pique. Remarquez qu'ils sont deux. M'enfin...

Qui donc? Le contrebassiste Ron Carter et le saxophoniste ténor Houston Person. Voilà, depuis trente ans qu'ils se fréquentent, ils aiment bien, entre deux parties de scrabble, enregistrer en duo. Leur dernier album, paru sur étiquette High Note, s'intitule Dialogues. D'accord, on observera que c'est facilement nommé, Dialogues... Reste que c'est bien nommé. Parce que, question dialogues, mettons que l'un et l'autre observent aujourd'hui les us et coutumes de cette qualité ô combien oubliée qui s'appelle l'écoute. L'un écoute l'autre et inversement.

Toujours est-il qu'après écoute de ces dialogues, on est toujours ragaillardi. Parce que, question sonorité au long cours, Person est champion. Il a le son ample, robuste. Le contraire du son chétif. On voit ou plutôt on entend sa connaissance et son appréciation des durs de la congrégation des saxophonistes. Il y a en lui des traces de Ben Webster, de Gene Ammons, de Budd Johnson, de tous ceux qui n'ont jamais lésiné sur les moyens qu'il faut obligatoirement utiliser pour effectuer la mise en relief des beautés contenues dans chaque morceau.

Avec Person, on est toujours rassuré. Il n'y a pas de question à se poser. Tout est comme facilité, digéré. Il suffit d'écouter. Et, c'est garanti, on goûtera et on sera repus. En clair, une fois l'album entendu, on y retourne. Dit autrement, après écoute de l'album, mettons qu'il est difficile de passer à un album différent. Il faut observer une pause. Parce que Person est grand et Ron Carter tout autant. Parce que ces Dialogues sont ceux qu'ont articulés des maîtres en ponctuation. À l'évidence, ils connaissent tous les usages du point-virgule.

Serge Truffaut

Dans la nuit

Louis Sclavis

ECM

Dans le texte que le cinéaste Bertrand Tavernier a signé pour accompagner la sortie de cet album, on peut lire notamment ceci: «Dans la nuit de Charles Vanel est exceptionnel à plus d'un titre [...]. Film unique, malheureusement, ou presque. En 1930, le parlant balayait tout et le public n'alla pas à la rencontre de Dans la nuit. Charles Vanel, malgré une deuxième tentative, ne se remettra jamais de son insuccès. On ne peut s'empêcher de penser à Charles Laughton que l'échec de La Nuit du chasseur obligea à renoncer à une prometteuse carrière de metteur en scène.»

Histoire de montrer tout l'éclat que mérite le film écrit et réalisé par cet immense acteur que fut Vanel, Tavernier a demandé à Sclavis de composer et d'enregistrer des morceaux qui accompagnent désormais Dans la nuit. On savait Sclavis excellent saxophoniste et clarinettiste. On le savait compositeur captivant, maître en confection de pièces qui attirent ou hypnotisent. Mais on ne le savait pas aussi éclectique.

Parue sur étiquette ECM, cette production nous fait entendre un Sclavis puisant aussi bien dans ces gammes qui font la java, la culture des guinguettes, que dans celles qui font la musique contemporaine, sans omettre bien évidemment «l'improvisation-jazzée».

Toujours est-il que ce musicien nous livre ici un album à son image. Lorsque la musique doit traduire la gravité, elle le fait mais sans être aride. Lorsqu'elle doit illustrer la légéreté, elle le fait sans être frivole. C'est magistralement joué. Mieux, du début à la fin jamais on ne s'ennuie. On est plongé dans un univers. Et on y reste avec d'autant moins d'hésitation que les cinq musiciens jouent avec conviction.

S. T.

À voir en vidéo