Vitrine du disque - Rock

On en est à la rationalisation des discothèques, de toute évidence. Cela devait arriver, en réaction à la prolifération des coffrets, ces splendides ramassis de raretés que le grand public aura beaucoup acquis mais somme toute peu consommés: le marché boomer vieillissant ne veut plus maintenant que les chansons qui ont vraiment compté.

D'où le succès phénoménal de la compilation One des Beatles, d'où le tabac escompté du prochain Thirty Number One Hits d'Elvis. D'où, également, cet Essential Bob Dylan, qui rassemble en deux disques et 30 titres (le chiffre rond n'est pas un hasard) la crème de la crème du vieux Zimmy. Dylan est né Zimmerman, faut-il le rappeler.

Je crois encore fermement qu'il faut les albums originaux Highway 61 Revisited, Blonde On Blonde, Blood On The Tracks et Time Out Of Mind dans tous les foyers de l'Occident, mais on avouera ceci: il y a du discernement dans ce florilège. Inclure la moins célébrée mais non moins essentielle Shelter From The Storm, par exemple, est de fort bon goût. Le fait de retenir quatre titres de Bringing It All Back Home (paru en 1965, c'est l'album crucial du passage de l'acoustique à l'électrique) et à peu près rien de la production des années 80 n'est pas disproportionné mais conséquent. Le temps passant, le regard s'affine et les véritables classiques s'affirment. Bel exercice. Et formidable résumé, dans les bacs juste à temps pour le retour de Dylan en ville, au Centre Molson ce lundi. Tous en choeur: «How does it feeeeeeelÉ»

Sylvain Cormier

HEATHEN CHEMISTRY

Oasis

Epic (Sony)

Ce n'est pas qu'on souhaite aux gens de souffrir, mais l'accident de taxi qui a égratigné la semaine dernière trois des morveux d'Oasis pourrait être un don du ciel. À notre endroit. Et si Oasis annulait son spectacle de vendredi prochain au Centre Molson? Ce serait toujours ça de gagné, et les frères Gallagher iraient se faire détester ailleurs. Tiens, ils pourraient apporter avec eux tous les exemplaires de leur détestable nouvel album. Comprenez que je considère le groupe de Manchester, dont les airs bêtes tapissent ces jours-ci la presse rock britannique à l'occasion de leurs dix ans de mauvais et déloyaux services, comme une plaie purulente dans laquelle la musique pop-rock pourrit, et Heathen Chemistry ne fait qu'accélérer le processus de décomposition.

Je ne me souviens pas d'avoir entendu d'aussi flagrants plagiats de pop beatlesque, rollingstonienne, kinksienne, bref, de tout ce qu'il y avait de bon en Angleterre dans les années 60, depuisÉ depuis quand, au juste? Depuis l'album (What's The Story) Morning Glory? d'Oasis, paru en 1995, celui qui contenait Wonderwall et Champagne Supernova.

Heathen Chemistry est tout aussi racoleusement fabriqué. Prenez The Hindu Times, le premier titre: c'est We Love You, le tube des Stones psychédéliques de 1967. Le riff, l'ambiance, tout est là. Seul le timbre nasal du fendant à Liam Gallagher diffère: emprunt à Lennon, en l'occurrence. Le reste est de la même eau croupie. Little By Little sonne très exactement comme du ELO avec les guitares de Status Quo. (Probably) All In The Mind est tellement Beatles millésimé 1966 (Tomorrow Never Knows, She Said, She Said) que ce n'est fatalement pas mauvais: forcément, on ne peut qu'aimer un peu ce qu'on a déjà aimé beaucoup, même travesti. Dans le même genre, Born On A Different Cloud n'est rien d'autre qu'un bain d'écho à la Lennon: repiquer aussi manifestement autrui, moi, j'en serais gêné. Mais ces pollueurs d'existence, ces parasites, ces profiteurs de première sont aussi des sans-gêne. Des mal élevés. Dites-le-leur de ma part s'ils se pointent en ville avec des sparadraps sur les ecchymoses. Je serai ailleurs. En vacances. À écouter les versions originales.

S. C.

HIGHLY EVOLVED

The Vines

(EMI/Capitol)

Si c'est ça le futur du rock, alors on démissionne sur-le-champ! Depuis des semaines, The Vines fait la manchette un peu partout en Europe. Ces jeunes Australiens ont d'abord retenu l'attention, il y a quelques années, en reprenant du Nirvana dans les bars locaux de Sydney. Et alors? Désormais, le quatuor mêle le crade et le mélodique dans ses pièces fourre-tout. Sur Highly Evolved, rien d'original à signaler, sinon un autre groupe qui copie sans la moindre excuse. Les Strokes, en pire. Encore une fois, ce rock'n'roll faussement cru semble en amour avec son image plutôt qu'avec sa musique: des airs un peu rebelles, des déclarations inutiles et un premier album qui n'a rien d'extraordinaire. Curieusement, les premières pièces annoncent un rock musclé, bien qu'on tombe vite dans la pop artificielle. Un critique du NME déclarait récemment: «Les Vines sonnent comme les Beatles jouant du punk new-yorkais des seventies». Quoi? Décidément, on est loin de l'énergie toujours rafraîchissante des Pixies. C'est Frank Black qui doit bien rire.

David Cantin

LA NOUVELLE GAUCHE

The Hylozoists

(Brobdingnagian Records)

Est-ce du country, du rock instrumental, de la pop raffinée ou de la musique de film somptueuse? Imaginez une collaboration entre Stereolab et Tortoise, Mercury Rev et Calexico. Le groupe s'appelle The Hylozoists: une doctrine philosophique grecque qui attribue au monde, à la matière, une vie propre. L'octet provient des contrées rurales de la Nouvelle-Écosse, tout en bénéficiant des conseils judicieux du multi-instrumentiste Paul Aucoin, des Sadies. Il y a quelques mois, La Nouvelle Gauche passait complètement inaperçu. Dommage, puisque ce premier album séduit à plus d'un titre. Grâce à une instrumentation très surprenante, qui va de la pedal steel à la clarinette, ce groupe trouve le moyen de redonner un peu de lustre au format parfois éculé du post-rock. Les mélodies se tissent de façon inhabituelle pour ainsi aboutir à une fascinante équation instrumentale. Aventureux sans être prétentieux, The Hylozoists plane déjà très loin. Ceux qui craquent pour la trame sonore de Virgin Suicides des Français d'Air seront aux anges. De très bonnes nouvelles en provenance d'Halifax.

D. C.

UNIVERSAL TRUTHS

AND CYCLES

Guided by Voices

(Matador)

Au milieu des années 90, Guided by Voices régnait sur la scène rock indépendante américaine. Grâce à des albums tels Bee Thousand ou Alien Lanes, Robert Pollard devenait le Paul Westerberg d'une nouvelle génération. Toutefois, comme les désormais mythiques Replacements, GBV n'a jamais dépassé le rang de groupe culte des campus universitaires. De retour sur Matador, la formation revient aussi à son esthétique lo-fi des débuts avec Universal Truths and Cycles. Est-ce que l'attrait est de retour? Pas vraiment, quoique Pollard semble encore à la recherche de la power pop plus que parfaite. Ces pièces sans âme, qui dépassent rarement les deux minutes, n'ont plus le même charme qu'auparavant. Est-ce la formule prévisible qui s'allonge pour rien? Avec le recul, cette pop à guitares devient un peu trop molle et surtout nonchalante. Ce qui s'avérait une qualité autrefois passe désormais pour un manque d'inspiration. GBV s'enfonce, un peu plus loin, dans une sorte de parodie du GBV de la belle époque. On croit même avoir déjà entendu de meilleures versions de Zap, Storm Vibrations ou Car Language. Comme Stephen Malkmus ou Lou Barlow, Robert Pollard vieillit mal.

D. C.

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