Disques classiques - Histoire et louange de Dieu

Sibelius, compositeur national finlandais. Héros de la nordicité et de la Scandinavie, grand compositeur de symphonies. Voilà pour les images d'Épinal, pas toujours fausses, mais qui laissent de côté bien d'autres aspects de l'important catalogue de ce compositeur. Ce disque vient nous rappeler que, à l'ombre de ses monumentales symphonies qui sont presque exclusivement ce que le grand public de concert connaît, on trouve beaucoup de musique de chambre, des mélodies, des sonatesÉ et des poèmes symphoniques.

Succombant à l'air du temps, lorsque la musique à programme de Liszt est le cri de ralliement de toute une génération, que Richard Strauss porte le genre à des sommets insoupçonnés, Sibelius ne s'est pas gêné pour faire plus que simplement tâter de cette forme alors très moderne qu'est le poème symphonique.

On en compte une large dizaine, dont les trois les plus connus restent sans doute Finlandia, Tapiola et En Saga. Celui-ci est la première tentative de Sibelius en matière de conception d'un poème symphonique. La version originale date de 1892, mais, comme c'est le cas sur ce disque, on entend plus souvent la révision de 1902. Même s'il s'en trouve déjà une version sur les rayons de votre discothèque, celle-ci ne jurera en rien. L'Orchestre de Lahti s'avère toujours excellent et (tant pis pour le cliché) fait sonner cette histoire avec des couleurs assez personnelles.

On ne dispose que de bien peu de références en ce qui concerne le reste du programme. Le fait souligne la nécessité d'un tel disque. Mieux encore, la découverte de pages rares montre que les programmateurs de concerts pourraient faire quelques incursions dans ce répertoire pour le plus grand bonheur du public. Toujours avec un orchestre splendide, au son magnifiquement enregistré, et avec une direction musicale sûre, rendant à l'effet sa juste place sans jamais tomber dans l'outrance facile ou le ton forcé, on entend de petits bijoux. Et très curieusement chez ce patron symbolique de la musique finlandaise, une influence de l'impressionnisme français qui surprend et fait sourire, comme dans la petite et amusante Danse-Intermezzo.

La plupart des pièces, en effet, tournent autour de dix minutes. Comme l'unité de ton est assez patente, on se met un ou deux poèmes et on revient au reste sans ennui. Pour s'émerveiller de l'imagination de Sibelius, de la richesse des cordes, de la rondeur des vents, de la belle force des cuivres. Donc de tout ce qui fait la beauté de cette musique à programme descriptive et caractéristique.

François Tousignant

Haydn — Gardiner

J. Haydn: Schöpfungsmesse, Hob. XXII:13 (Ruth Ziesak, soprano; Bernarda Fink, alto; Christoph Prégardien, ténor; Oliver Wirmer, basse); Harmoniemesse, Hob. XXII:14 (Joanne Lunn, soprano; Sara Mingardo, alto; Topi Lehtipuu, ténor; Brindley Sherratt, basse). Choeur Monteverdi, English Baroque Soloists, dir. John Eliot Gardiner. Philips 470 297-2.

Parmi les dernières responsabilités d'un Haydn vieillissant, son employeur princier lui ordonna d'écrire chaque année une messe pour le jour anniversaire du saint patron de son épouse. Il en écrit six en tout, dont les deux présentées sur cet enregistrement. La première tire son surnom du fait que bien des thèmes s'inspirent de ceux qu'on trouve dans l'oratorio Die Schöpfung (La Création); la seconde — en fait la dernière oeuvre achevée de Haydn — reçoit le sien de l'usage spécialement important qu'il y fait de l'ensemble des vents de l'orchestre (ce qu'en allemand on nomme «Harmonie»).

Gardiner donne une énergie incroyable à cette musique. L'énergie si originale de Haydn, ses oppositions magistralement dramatiques, le chef les rend avec une précision et un feu vraiment exceptionnels. Sous sa baguette, les instrumentistes du English Baroque Soloists se font caressants et explosent en accords jubilatoires. Les Gloria et Credo sont foudroyants d'efficacité.

Cela vient tout aussi parfaitement de la manière dont la polyphonie chorale garde une clarté telle qu'on ne rate rien des contrepoints, même en grands tutti. La justesse aussi épate. Le fondu du choeur n'est plus à louer, comme sa souplesse; lors des moments méditatifs, cela flatte l'oreille avant de lumineusement exploser en une sorte de cris de profession de foi joyeuse. Après tout, on ne saurait être triste en chantant HosannaÉ

Si certains historiens ou esthètes ont reproché à ces messes une certaine superficialité, la version de Gardiner les fera brillamment se dédire. L'intime compréhension du style qu'a Gardiner souligne, au contraire de la frivolité, une grandeur certaine et une majesté idoine au contexte princier et au sujet. Les fanfares sont parfois «bruyantes», ce qui choquera quelques puristes ; pourtant, Haydn ne fait qu'y «succomber» dans le plus parfait accord avec le style de son temps — et qu'il a plus que grandement forgé lui-même. L'importance de l'effet choral de Haendel, les influences de la musique prônée par la Révolution française et l'importance de l'opéra dans le traitement de la voix soliste.

Car il ne faut pas oublier les deux distributions vocales, une par messe. On aimerait pouvoir trouver quelque chose à redire qui soit un tantinet sérieux ou crédible aux huit chanteurs retenus par Gardiner. Ils s'intègrent ou ressortent de manière tellement idoine à cette conception vivante qu'on apprécie encore davantage l'inspiration mélodique de Haydn — et Dieu sait combien lui ont reproché d'en «manquer».

Au moment de la composition de ces messes, Haydn sentait ses forces créatrices et physiques décliner. À entendre sa musique interprétée avec cette vitalité, on ne peut que s'étonner de la vigueur de ce «vieillard de 68 ans», comme il aimait à se plaisanter lui-même. En fait, on y prend tous un sacré coup de jeunesse.

F. T.

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