Valery Gergiev, un chef pro-Poutine, remplacé par Yannick Nézet-Séguin à Carnegie Hall

Des membres de l’association Russia Tomorrow protestaient contre le régime Poutine, début février à Barcelone, durant une prestation du chef russe Valery Gergiev.
Photo: Pau Barrena Agence France-Presse Des membres de l’association Russia Tomorrow protestaient contre le régime Poutine, début février à Barcelone, durant une prestation du chef russe Valery Gergiev.

Yannick Nézet-Séguin dirigera le Philharmonique de Vienne ces vendredi, samedi et dimanche à Carnegie Hall. Il remplacera Valery Gergiev, soutien artistique connu de Vladimir Poutine.

L’annonce du remplacement de Valery Gergiev a été faite dans l’après-midi de jeudi par un communiqué laconique du Carnegie Hall.

« Carnegie Hall et l’Orchestre philharmonique de Vienne ont annoncé conjointement aujourd’hui [jeudi] que Yannick Nézet-Séguin remplacera Valery Gergiev à la tête de l’Orchestre philharmonique de Vienne. Les programmes des trois concerts […] restent inchangés. Le Carnegie Hall et l’Orchestre philharmonique de Vienne sont extrêmement reconnaissants envers Yannick Nézet-Séguin d’avoir accepté de se substituer à lui pour ces représentations dans un délai très court. »

Joint à New York en début de soirée, Yannick Nézet-Séguin a confirmé au Devoir que tout s’était organisé à midi et qu’il n’a pas hésité avant de répondre à l’invitation : « Je suis heureux d’aider Carnegie Hall, une de mes maisons dans le monde de la musique, honoré d’aider les Wiener Philharmoniker. Quant à ma décision, elle parle d’elle-même. »

Le chef, qui n’a pas vu l’orchestre depuis cinq ans, assumera vendredi la générale de Don Carlos au Met, et n’a pas changé le programme prévu pour Gergiev. Il travaillera à partir de « raccords substantiels » : « ce sera une des beautés de la chose, c’est un orchestre qui réagit au doigt et à l’œil. On va se jeter dans la musique, et ça va créer des moments très particuliers».

Pression

 

La surprise occasionnée par le remplacement est d’autant plus grande que la ligne du Philharmonique de Vienne avait été clairement tracée par la voix de son représentant Daniel Froschauer : « La culture ne doit pas devenir le jouet de disputes politiques. »

Pour Froschauer, l’orchestre « ne commenterait pas les questions politiques » liées à ses chefs ou solistes (le pianiste russe Denis Matsouïev sera remplacé par le vainqueur du Concours Chopin 2015, Seong-Jin Cho, vendredi soir). Le directeur de Carnegie Hall, Clive Gillinson, était sur la même ligne, ayant « apporté son soutien à M. Gergiev, affirmant qu’il ne devait pas être puni pour avoir exprimé des opinions politiques », rappelle le New York Times.

La pression s’était accentuée jeudi sur le symbole que représenterait le fait de voir un public américain applaudir le principal ambassadeur artistique de Vladimir Poutine au cœur de New York au lendemain de la guerre déclenchée par le président russe en Ukraine. Un mot-clic #CancelGergiev avait fait son apparition sur Twitter.

Cette pression s’était faite d’autant plus croissante que dès le matin en Europe, Gergiev avait été sommé par le maire de Milan et le directeur de la Scala de condamner l’intervention russe, alors qu’il se trouve aussi à Milan pour une série de représentations de La Dame de pique.

Dominique Meyer, le directeur du théâtre, a adressé un message à Gergiev, lui demandant de faire une déclaration appelant à une résolution pacifique. En cas de refus, un remplaçant sera recherché pour les futures représentations.

Lors de la première de La Dame de pique, mercredi, des huées et quelques « va-t’en » se sont fait entendre, selon le compte rendu de La Repubblica.

Motivations

 

Gergiev n’a pas hésité à relayer des actions de politique étrangère de la Russie, comme lors d’un concert à Palmyre en Syrie en 2016 à la suite duquel Le Devoir avait interrogé le chef sur ses motivations.

Il réfutait alors l’étiquette d’ambassadeur, mais ses réflexions géopolitiques poussées résonnent étrangement aujourd’hui : « L’OTAN se rapproche des frontières russes. La question est : “Que voulez-vous en faisant ça ? La 3e Guerre mondiale ?” »

Yannick Nézet-Séguin dirigera en trois jours le 2e Concerto et la 2e Symphonie de Rachmaninov, le Prélude à l’après-midi d’un faune, la 2e Suite de Daphnis et Chloé, Schéhérazade de Rimski-Korsakov, des extraits de Roméo et Juliette de Prokofiev et la Symphonie pathétique de Tchaïkovski.

C’est maintenant l’avenir de Valery Gergiev au Philharmonique de Munich qui est sur la sellette.

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