Sibelius, couleur gris médian

Avec leur concert « Épopée nordique », Yannick Nézet-Séguin et l’Orchestre Métropolitain poursuivaient, avec la 4e Symphonie, leur intégrale Sibelius enregistrée par ATMA. Cette œuvre, très singulière, ne sera assurément pas le sommet de ce parcours.
Attendre la lumière au bout du tunnel. Il y a une grande œuvre du répertoire symphonique à ne pas associer à une telle espérance : la 4e Symphonie de Sibelius. Elle est si diaboliquement désespérée qu’on a envie de se cogner la tête contre les murs (ou de pleurer) après quelques mesures.
Pourquoi « diaboliquement » ? Parce que le triton y est omniprésent. On nomme cet intervalle depuis le Moyen Âge « Diabolus in musica » — intervalle maléfique, avec lequel jongle, en 1911, Sibelius, un compositeur en proie au doute et à la maladie.
Le défi de l’enregistrement
Avoir la chance de survivre ? Opéré en 1908 d’un cancer de la gorge, Sibelius craint alors une récidive. Et composer quoi ? Sibelius vient de faire la connaissance de la musique de Schoenberg et Stravinski. La 4e, faussement erratique (notamment dans le Finale), est aussi une expression d’incompréhension sur le devenir de la musique.
Ces questions existentielles sont au cœur de l’œuvre. Imaginez la couleur noire et dites-vous que quoi que vous imaginiez c’est encore trop clair, pas assez profond. Chaque tentative d’accéder à la lumière est systématiquement laminée. Alors c’est quoi la π ? Sibelius, personnage laconique par excellence, pour la situer, avait cité un jour Strindberg : « Être un homme est pitoyable ».
Enregistrer la 4e de Sibelius, ce qu’ont fait Yannick Nézet-Séguin et l’Orchestre Métropolitain vendredi soir, c’est faire face à quelques monuments : Herbert Kegel, Kurt Sanderling, Herbert von Karajan, Osmo Vänskä (par deux fois), Segerstam (version Ondine).
Avant le concert nous avions de grandes craintes, car la 4e entre autres un violoncelle solo et un pupitre de violoncelles impériaux, ce qui n’est pas le fort du Métropolitain. Hélas dès la première phrase, timorée, et aux nuances totalement aplanies du violoncelle solo, les carottes étaient cuites. Il y eut d’autres problèmes par la suite (solo du début du Finale ou passages de violoncelles divisés indiqués « à la pointe » par Sibelius dans le 1er volet, ce qui donne une couleur particulière que l’on ne percevait pas).
Globalement, la Quatrième de Yannick Nézet-Séguin est trop « gentille », pas assez rauque, marquée certes par de très beaux moments (passage tremolo en ppp du Finale, 2e mouvement dans son ensemble, prestation des flûtes, du hautbois et des cors), mais elle ne respire pas assez largement (ambitus des soufflets dynamiques). Peut-être que les micros donneront une présence et une chair plus intense à certaines choses. Ils ne feront sans doute pas de miracles.
Réentendre Mathieu
C’était une bonne idée de reprendre la première œuvre commandée, en 2001, par Yannick Nézet-Séguin en tant que directeur musical du Métropolitain : Promenade d’Isabelle Panneton, une partition bien conçue et orchestrée.
En première partie, Jean-Philippe Sylvestre jouait le Concerto de Québec d’André Mathieu. On a retrouvé sa veine très différente de celle du promoteur bien connu de l’œuvre, Alain Lefèvre. Ce dernier tire Mathieu vers Rachmaninov alors que Sylvestre, avec raison à notre avis, le place dans une lignée plus Gershwin et musique de film, avec des tempos plus vifs et un ton moins grandiloquent.
Réentendre Mathieu en concert permet de noter une fois encore l’étrangeté structurelle de l’œuvre, conçue comme une suite de séquences mélodiques. Si Yannick Nézet-Séguin avait voulu être machiavélique il n’aurait pas pu inventer mieux que cette programmation-là. Qui osera ensuite moindrement se plaindre en comparaison d’un défaut structurel d’une œuvre présentée au nom de la nouvelle religion programmatique « équité, diversité, représentativité ». Même dans sa 1re Symphonie, Florence Price a l’air de Johannes Brahms (reconnu comme un maître de la forme) à côté de Mathieu dans le Concerto de Québec.
Il serait très intéressant d’entendre Jean-Michel Dubé, l’autre promoteur actuel de Mathieu au Québec, dans ce concerto car le son produit par Sylvestre se distingue grandement de celui d’Alain Lefèvre par son aspect beaucoup moins corporel et nourri, très « avant-bras et poignets ». Voulant se mettre en valeur en jouant en rappel le Finale de la 7e Sonate de Prokofiev, l’excellent technicien a mis encore plus en évidence cette limite. Car là, pour le coup, ce Prokofiev a été joué ici par Evgueni Sudbin, Lang Lang et Denis Matsuev et on se souvient bien comment ça sonnait.
Épopée nordique
Mathieu : Concerto de Québec. Panneton : Promenade. Sibelius : Symphonie n° 4. Jean-Philippe Sylvestre (piano), Orchestre Métropolitain, Yannick Nézet-Séguin. Maison symphonique, vendredi 11 février 2022. Webdiffusion en direct, offerte en rattrapage jusqu’au 13 février.