Concerts classiques - De musique silencieuse et de vanité
La programmation est stimulante. La jeune pianiste Alexandra Townsend propose cinq groupes de pièces minimalistes bien organisés; autour d'un compositeur présent dans chacun des groupes, Howard Skempton, elle essaie d'établir des dialogues stylistiques ou artistiques avec quelques pièces qui, contrairement à la «musique» insignifiante de celui-ci, présentent une ossature certaine.
Devant tous les navets que propose l'interprète ne ressortent effectivement que les pièces de John Cage (One), de Morton Feldman et de Benjamin Britten. Il pourrait paraître convenu d'ainsi ne louer que la plume de disparus; force est d'admettre, avec un peu de rage, qu'il n'en est rien. Les émules épigonaux de la trempe des Skempton et Finnissy ne font en fait qu'ennuyer tout un chacun. On concède bien que, parfois, dans la chaleur de l'église et quand le public n'est pas trop bruyant, on entend un ou deux beaux sons, mais guère d'idées.Il faut décrire ce genre de minimalisme qui n'a rien à voir avec celui énergétique et rythmé des Reich, Glass et Adams. Ce minimalisme en est un de procédé et son intérêt est que les choses durent pour créer une aspiration à la transe. Le minimalisme de Feldman, comme celui de Cage présenté dans ce programme, est d'une dimension autrement miniature. Voilà probablement le mot correct à employer pour le répertoire qu'on a entendu: du miniaturisme souvent aphorique et de génie et du miniaturisme minimal d'impuissance maximale. On a beau se concentrer, malgré les bruits qui envahissent les silences sur lesquels ressortent les One (Cage) ou les deux Nature Pieces for piano (Feldman), l'attention comme la tension tombent souvent.
D'abord parce que quand on tousse, qu'on fait craquer son banc (nous sommes dans une église), que les sirènes s'agitent à l'extérieur et que la testostérone des motards et chauffeurs de Camaro se multiplie en décibels, que les klaxons des taxis s'impatientent, il est difficile de bien saisir le génie de ces courtes pages.
Les appels à la résonance, à une durée et mesure autre du temps, sont noyés dans un bruit de fond aussi grisâtre qu'urbainement agaçant et assourdissant qui empêche toute floraison de quelque écho poétiquement sonore que voudrait créer la partition et son interprète.
Il faut dire qu'avec un meilleur piano, on aurait peut-être entendu davantage de subtilités, saisi plus de finesse. Là, il faut maintenant jeter certaines pierres à l'invitée du jour.
Quand on veut s'attaquer à ce genre de répertoire, quand on s'en professe «spécialiste», il faut avoir une présence en scène et une capacité de sonorité hors du commun plutôt que de se fier à son port séduisant. On s'attend aussi à beaucoup d'imagination, de variété comme de dosage de la palette. Bref, que la pianiste ait un son, sinon du son, une force communicative de compréhension et d'amour convaincu et sincère plutôt que de se contenter d'enfoncer les touches; on exige aussi qu'elle possède un timbre et une technique qui maîtrisent l'instrument plutôt que de laisser le piano se débrouiller tout seul. Cela s'appelle de la personnalité.
Alexandra Townsend en semble désespérément dénuée. Elle semble s'attaquer à ce répertoire pour masquer son incapacité à en présenter un plus costaud et techniquement exigeant.
On doit avouer avoir vraiment l'impression de faire affaire avec une sorte d'imposture. Un peu à la manière d'un mépris du sujet misant sur l'ignorance du public — en oubliant que celui-ci, après tout, n'est pas si bête.
Ainsi, on tue la musique et les espoirs que le public met en sa découverte. Il existe plein d'autres pianistes, d'une autre trempe, qui font ce répertoire avec passion et qui le rendent vivant pour que l'«endormitoir» offert hier midi par Jusqu'aux oreilles ne soit démasqué et pourfendu. Voilà le cri d'un amoureux non pas déçu, mais outré.