Dur temps pour la musique québécoise

Si on met de côté le classement des 20 chansons les plus populaires et qu’on s’intéresse aux 20 artistes québécois les plus écoutés sur les applications, on voit apparaître les noms de Daniel Bélanger et de Jean Leloup (notre photo).
Photo: Valérian Mazataud Le Devoir Si on met de côté le classement des 20 chansons les plus populaires et qu’on s’intéresse aux 20 artistes québécois les plus écoutés sur les applications, on voit apparaître les noms de Daniel Bélanger et de Jean Leloup (notre photo).

À moins de s’appeler FouKi ou Charlotte Cardin, les artistes québécois peinent à faire découvrir leurs nouvelles chansons au public en l’absence de tournées et de festivals.

Et pour cause : 7 des 20 pièces québécoises les plus populaires dans les derniers mois de 2021 étaient sorties avant la pandémie.

C’est la première fois qu’un palmarès est établi à partir des habitudes d’écoute des Québécois sur les plateformes en ligne, comme Spotify et Apple Music. Il en émerge un classement des 20 titres les plus écoutés pour le moins surprenant, où on ne retrouve que 3 des 10 chansons en nomination aux derniers Félix, mais dans lequel le rappeur Loud réussit à se hisser à la 17e position avec Toutes les femmes savent danser, un succès radio qui remonte pourtant à 2017.

Ces données colligées par l’Observatoire de la culture sont somme toute assez sommaires, comme elles ne prennent en compte que les écoutes effectuées entre le 15 octobre et la fin de l’année 2021. Il n’existe pas non plus de comparatif avec les années précédentes.

Conclusions de l’ADISQ

Les chiffres sont toutefois suffisants pour que l’Association québécoise de l’industrie du disque, du spectacle et de la vidéo (ADISQ) puisse en tirer ses propres conclusions : premièrement, l’absence de spectacles a énormément nui aux artistes qui sont arrivés avec du nouveau matériel dans la dernière année ; deuxièmement, les algorithmes des plateformes numériques désavantagent la musique québécoise, a fortiori la nouvelle musique québécoise.

« Je ne pense pas qu’il y ait un désintérêt des jeunes pour la musique québécoise, je pense juste qu’il faut être en mesure de faire mieux découvrir la musique », fait valoir la directrice générale de l’ADISQ, Ève Paré, qui salue le dépôt du projet de loi C-11. Présentée la semaine dernière par le gouvernement Trudeau, cette pièce législative vise à soumettre les plateformes numériques à la Loi sur la radiodiffusion, et ainsi à les contraindre à faire la promotion d’un minimum de contenu canadien.

Dans la même veine, l’ADISQ milite également pour que les radios commerciales soient obligées de faire jouer un certain pourcentage de nouvelles chansons québécoises, pas seulement des classiques. L’industrie compte de surcroît beaucoup sur le retour à la normale et la reprise des spectacles pour donner un coup de pouce aux artistes qui proposent de nouvelles compositions.

Remise en question

 

Cela étant, la tendance est lourde et pourrait être longue à inverser.

On savait déjà que la musique québécoise ne représentait que 8 % des écoutes sur les plateformes — 6 % quand on parle de musique québécoise francophone. Mais voilà que la publication de premières données propres au Québec vient brosser un portrait peut-être encore plus sombre de la situation.

Si on met de côté le classement des 20 chansons les plus populaires et qu’on s’intéresse aux 20 artistes québécois les plus écoutés sur les applications d’écoute, on voit apparaître les noms de Daniel Bélanger et de Jean Leloup. Leur longévité est tout à leur honneur, mais certains s’inquiètent que des chanteurs qui n’ont pas sorti de tube depuis quelques années déjà soient plus populaires que des artistes qui défendent un nouvel album.

Louis-Jean Cormier, Hubert Lenoir et Vincent Vallières, pour ne nommer que ceux-là, ont tous les trois joui d’une couverture médiatique en 2021 grâce à leur dernier disque, mais aucun d’entre eux ne figurait dans le classement des artistes québécois les plus populaires sur les plateformes d’écoute dans les derniers mois de l’année.

« Qui va pouvoir remplir le Centre Bell dans 10 ans ? Ça m’inquiète de voir que Cormier, que Lenoir, que Vallières ne sont pas là. Est-ce que c’est juste parce qu’ils n’ont pas fait de spectacle cette année ? Je ne pense pas. C’est comme si leur répertoire ne touchait pas les gens qui écoutent leur musique en streaming », avance Pierre « Bill » St-Georges, consultant dans l’industrie de la musique.

Ce dernier constate un certain décalage entre le milieu québécois de la musique et les tendances qui prévalent dans les faits chez les jeunes. Bill St-Georges ne manque pas de rappeler que l’industrie d’ici a tardé à accorder une place d’importance au hip-hop, alors que ce style domine les palmarès aux États-Unis et en France depuis plus de deux décennies. Aujourd’hui, le rap s’impose de lui-même. Sept des 20 chansons les plus écoutées sur les plateformes fin 2021 appartenaient à cette catégorie.

Le controversé rappeur Enima a beau cumuler les ennuis avec la justice au point de perdre sa résidence permanente, il était l’artiste québécois le plus en vogue à ce moment, devant Charlotte Cardin et les Cowboys Fringants.

« Le rap, avec quelques années de retard, en est venu à devenir incontournable ici aussi. Et je pense que l’on n’a pas encore vu toute la richesse et l’étendue de ce style », ajoute Eric Parazelli, porte-parole de la Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SOCAN).

Peu surpris du succès du rap sur les plateformes, Eric Parazelli s’étonne davantage du retentissement de la musique instrumentale. La pianiste Alexandra Stréliski arrive septième parmi les artistes québécois les plus écoutés entre octobre et décembre 2021. Sa pièce Plus tôt se classait à la 19e place des chansons les plus populaires.

« C’est quelque chose qu’on n’aurait pas vu il y a quelques années. […] Peut-être que durant la pandémie, les gens étaient stressés et avaient besoin de relaxer en écoutant de l’instrumental », propose le porte-parole de la SOCAN.

Les 10 chansons les plus populaires

1. Copilote, de FouKi avec Jay Scott, sortie en 2020

 

2. L’Amérique pleure, des Cowboys Fringants, sortie en 2019

3. Meaningless, de Charlotte
Cardin, sortie en 2021

 

4. Ciel, de FouKi avec Alicia Moffet, sortie en 2020

5. 23 décembre, de Beau
Dommage, sortie en 1974

 

6. Anyone Who Loves Me, de Charlotte Cardin, sortie en 2021

7. Je te laisserai des mots, de Patrick Watson, sortie en 2010

 

8. Passive Aggressive, de Charlotte Cardin, sortie en 2020

9. Or, de Enima, sortie en 2021

 

10. Scorpio Season, de Charlotte Cardin, sortie en 2021

Source: Observatoire de la culture et des communications du Québec, avec des chiffres de Nielsen Music, pour une période commençant le 15 octobre 2021



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