La musique québécoise délaissée par les jeunes

Lors du premier gala de «Star Académie», dimanche soir, 10 des 14 candidats en danger ont préféré chanter en anglais.
Photo: Eric Myre Lors du premier gala de «Star Académie», dimanche soir, 10 des 14 candidats en danger ont préféré chanter en anglais.

La musique québécoise peine de plus en plus à trouver son chemin jusqu’aux jeunes, et il n’aurait pas pu y avoir un exemple plus frappant que le premier gala de Star Académie, dimanche soir, lors duquel 10 des 14 candidats en danger ont préféré chanter en anglais. Quelques puristes en ont sans doute perdu leur latin derrière leur téléviseur, mais peu d’acteurs de l’industrie sont tombés de leur chaise.

Pourtant, le célèbre télé-crochet de TVA accordait une place prépondérante au français et à la culture québécoise dans sa première mouture, animée par Julie Snyder entre 2003 et 2012.

Les Black Eyed Peas et les Britney Spears de ce monde avaient beaus’échanger les premières places des palmarès, la plupart des candidats choisissaient naturellement d’interpréter des pièces en français dès les auditions, se souvient Pierre « Bill » St-Georges, qui fut juge lors des saisons 2004 et 2005. Une époque bel et bien révolue.

« Aujourd’hui, la vitrine principale de la musique chez les jeunes s’appelle Spotify, où le répertoire francophone est loin d’être dominant. Ce n’est plus comme dans le temps, avec la radio qui est soumise aux normes du CRTC pour qu’il y ait un minimum de contenu francophone en onde », avance celui qui est toujours aujourd’hui consultant dans l’industrie de la musique.

L’ADISQ montre également du doigt Spotify et les autres sites d’écoute en ligne pour expliquer l’hégémonie de la musique en anglais au sein de la jeunesse québécoise. Les algorithmes sur ces plateformes n’étant pas soumis à des quotas, la musique québécoise a peu de chances de se rendre aux oreilles des jeunes, déplore-t-on.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : à peine 8 % de la musique écoutée sur les plateformes en ligne au Québec vient d’ici.

« Je ne suis pas prête à dire qu’il y a un désintérêt de la musique québécoise francophone chez les jeunes. Par contre, il y a de toute évidence un problème de découvrabilité sur les plateformes. Et l’absence de spectacles actuellement accentue la tendance », ajoute Ève Paré, la directrice générale de l’ADISQ.

Elle fonde beaucoup d’espoir sur le gouvernement Trudeau, qui devrait déposer cette semaine son nouveau projet de loi visant à assujettir les géants du numérique à la Loi sur la radiodiffusion.

Une exception culturelle

 

Mme Paré est moins tranchée lorsqu’il est question d’imposer des quotas aux émissions de variétés, mais elle estime néanmoins qu’il serait souhaitable que la musique québécoise jouisse « d’un maximum de visibilité dans des émissions comme Star Académie ».

Il y a là une obsession typiquement québécoise, souligne Pierre Barrette, professeur de télévision à l’École des médias de l’UQAM. Dans d’autres pays, l’omniprésence de chansons anglophones dans ce genre de concours est loin de déranger autant, observe-t-il.

D’ailleurs, la version française de Star Académie s’orthographiait « Star Academy », et le Québec est l’un des seuls endroits au monde où le nom du concept néerlandais The Voice a été traduit.

« C’est vrai pour tous les concepts de téléréalité. Ailleurs, le côté international a une connotation positive. Mais ici, tous les concepts sont vite adaptés pour en faire du matériel local. La nature politique de la société distincte est toujours très présente à la télé, mais on sent que ce l’est de moins en moins », note Pierre Barrette, avec pour preuve le dernier gala dominical de Star Académie.

En français !

Il s’étonne tout de même que le Groupe TVA, dont le propriétaire est nul autre que l’ancien chef du Parti québécois Pierre Karl Péladeau, ait pu donner son aval à une telle prédominance de l’anglais dimanche soir.

La production de l’émission se défend en soulignant que les candidats ont eu carte blanche lors du dernier gala dominical pour choisir la chanson qu’ils allaient interpréter. Pour le deuxième gala, dimanche prochain, on promet que les trois candidats en danger chanteront, à moins d’un changement de dernière minute, en français. Quitte à l’imposer.

« Il y a un clivage de plus en grand entre le goût musical des jeunes qui participent à ce genre d’émission et le public qui regarde », soutient Jean-Philippe Dion, le producteur délégué de Star Académie, en réponse aux nombreux commentaires qui ont suivi la diffusion du premier gala.

L’animateur et producteur reconnaît qu’il y a davantage de chansons en anglais depuis l’an dernier par rapport aux premières éditions. Cela tiendrait entre autres du fait que le répertoire francophone est beaucoup moins garni en chansons « up-tempo ». Les ballades de chanteuses à voix n’ont plus autant la cote qu’en 2003, explique Jean-Philippe Dion.

Ça rend rap

 

En 2022, les jeunes écoutent beaucoup de rap et de musique urbaine, des styles qui ont tardé à s’implanter au Québec. Une déconnexion qui n’est peut-être pas étrangère aux difficultés actuelles de l’industrie, croit Pierre « Bill » St-Georges.

Il y a un clivage de plus en plus grand entre le goût musical des jeunes qui participent à ce genre d’émission et le public qui regarde

« Le problème, c’est que l’industrie se fie encore aux radios, même si elles ne sont pas écoutées par les jeunes. Et les radios refusent de passer du rap parce que ça n’attire pas le public qu’elles veulent cibler pour la publicité », explique le consultant.

En France, où le hip-hop a la cote depuis plusieurs années, environ 39 % de la musique écoutée sur les plateformes en ligne en 2019 était produite dans l’Hexagone, selon des données du Centre national de la musique.

À voir en vidéo