Difficile de tenir tête à Spotify

L’automne dernier, le chanteur Philémon Cimon est parti en croisade contre la pingrerie de l’industrie de la musique.
Photo: Adil Boukind / Le Devoir L’automne dernier, le chanteur Philémon Cimon est parti en croisade contre la pingrerie de l’industrie de la musique.

Le chanteur Neil Young a retiré cette semaine sa musique de Spotify. Un coup d’éclat que peu ont osé faire, même si l’entreprise suédoise a été maintes fois critiquée dans les dernières années pour son mode de rémunération des artistes. Car la plateforme d’écoute en ligne est désormais incontournable, à défaut d’être rentable.

L’automne dernier, le chanteur Philémon Cimon est parti en croisade contre la pingrerie de l’industrie de la musique. Il a dénoncé son distributeur, puis son ancienne maison de disques, mais n’a jamais haussé le ton contre les plateformes d’écoute comme Spotify, qui ne lui versent pourtant que des miettes pour sa musique, de son propre aveu.

« Moi, je m’en prends à ceux à qui je peux parler. Mais les affaires de Spotify, ce sont les gouvernements qui doivent faire quelque chose. Je ne vais pas aller me battre contre quelqu’un qui ne va même pas entendre ce que j’ai à dire », de raisonner l’auteur-compositeur- interprète sur un ton résigné.

Quand on s’appelle Neil Young, la marge de manœuvre n’est pas la même toutefois. Le célèbre chanteur canadien a supprimé son catalogue de la plateforme d’écoute la plus populaire au monde, non pas pour une affaire de redevances, mais pour des raisons politiques. Neil Young proteste contre le fait que Spotify héberge le controversé balado de l’animateur américain Joe Rogan, habitué de colporter des informations inexactes sur la pandémie.

La nouvelle a fait le tour du monde, mais aucun gros nom de l’industrie ne lui a emboîté le pas. À quelques reprises dans les dernières années, des chanteurs ont défié Spotify, le plus souvent pour des raisons économiques, mais jamais ces sorties disparates n’ont-elles vraiment réussi à susciter un mouvement assez puissant pour faire trembler le géant de la musique.

« Spotify est devenu un incontournable. Ça fait partie de la nouvelle façon de consommer de la musique. À part des artistes avec un public plus âgé qui n’est pas habitué à être sur les plateformes, je ne vois pas qui pourrait s’en passer », explique Steve Jolin, qui est à la tête de la maison de disques 7ième Ciel.

Parmi ses poulains, on trouve Fouki, Alaclair Ensemble ou encore Koriass, qui font tous partie des Québécois les plus populaires sur Spotify. Grâce à leurs millions d’écoutes cumulées, leur présence sur la plateforme a permis à leur musique de voyager au-delà des frontières du Québec, mais elle n’a guère rapporté sur le plan financier.

« Un stream, ça finit par valoir une fraction d’un cent, s’indigne Steve Jolin. Est-ce que les plateformes doivent augmenter le taux de rémunération pour les artistes ? Est-ce que les artistes devraient bénéficier d’une contribution des fournisseurs Internet, sans qui il n’y a pas de plateformes de streaming ? Ce sont toutes des questions que l’on doit se poser pour améliorer l’écosystème. Mais on ne reviendra pas en arrière : il n’y a presque plus personne qui a un lecteur CD. »

Les derniers « hors ligne »

Au Québec, Claude Dubois fait partie des derniers résistants. Aucun des enregistrements sur lesquels il a des droits ne se trouve sur Spotify.

 

Mario Pelchat s’est lui aussi longtemps entêté à ne pas rendre disponible sur les plateformes la musique des artistes qu’il produit. Une stratégie qui a confondu les sceptiques, le premier album des 2Frères ayant dépassé les 100 000 exemplaires vendus en 2017, un véritable exploit pour l’époque.

Mais au début de la pandémie, lorsque les derniers magasins de disques encore ouverts ont été contraints de fermer temporairement, Mario Pelchat a finalement cédé.

 

« Mais je continue d’être contre. Tant et aussi longtemps que les ayants droit [les artistes, les réalisateurs, les producteurs…] ne seront pas rémunérés à leur juste valeur, je vais continuer de ne pas trouver ça juste. Ce n’est pas normal de payer 10 dollars et d’avoir accès à toute la musique dans le monde », tonne l’interprète de Pleurs dans la pluie en plaidant pour une hausse importante du coût d’abonnement.

Comment rétribuer justement ?

D’autres réclament que les artistes soient rémunérés avec un montant fixe pour chaque écoute qu’ils génèrent. En ce moment, les plateformes calculent plutôt l’ensemble des écoutes mensuelles, puis distribuent les revenus parmi les artistes au prorata.

Selon une étude du Centre national de la musique en France, un changement de modèle serait à l’avantage des artistes qui font dans des styles de musique plus nichés, comme le métal, le blues ou le classique. Mais cela se ferait au détriment d’autres genres musicaux, comme le rap et le hip-hop, conclut l’étude.

En conséquence, l’ADISQ est hésitante à l’idée de réclamer un nouveau système de rétribution et préfère militer pour l’assujettissement des plateformes d’écoute à la Loi sur la radiodiffusion afin d’exiger notamment un minimum d’exposition au contenu québécois.

« En ce moment, à peine 8 % de la musique écoutée en streaming est québécoise. On sait que les Québécois aiment la musique d’ici, mais il est essentiel de la mettre en valeur pour qu’ils continuent de la découvrir », a tenu à ajouter par courriel la directrice générale de l’ADISQ, Eve Paré.

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