Le nécessaire et gigantesque accomplissement de Fred Pellerin et Kent Nagano

«La poste du paradis» est, enfin, l’accomplissement idéal du mariage des univers de Fred Pellerin et de Kent Nagano.
Photo: Antoine Saito «La poste du paradis» est, enfin, l’accomplissement idéal du mariage des univers de Fred Pellerin et de Kent Nagano.

Fred Pellerin et Kent Nagano partageaient la scène, mercredi, avec l’OSM pour un cinquième conte de Noël depuis 2011 à la Maison symphonique. Cette édition 2021 reprise encore quatre fois jusqu’à samedi et diffusée à Radio-Canada pour les Fêtes surpasse, en pertinence et sensibilité, tout ce que le tandem avait proposé jusqu’ici.

Quel état de grâce ! Trois ans après le « quatrième volet d’une trilogie », Les jours de la semelle, La poste du paradis est, enfin, l’accomplissement idéal du mariage des univers de Fred Pellerin et de Kent Nagano. Celui-ci s’apparaît comme un cadeau pour le récent 70e anniversaire du Maestro, mais surtout pour le public.

Évolutions majeures

 

En 2018 nous avions écrit : « À la quatrième édition, n’est-il pas évident et entériné que l’objet est un conte de Fred Pellerin illustré musicalement par l’OSM ? ». Nous regrettions qu’il « n’y ait pas un travail plus poussé sur l’imbrication récit-musique », certaines musiques cassant le rythme du conte et tuant l’ambiance, au point « de se demander à quoi rime vraiment cette alliance Pellerin-Nagano ».

Personne, en 2021, n’imaginerait soulever cette question-là, tant la musique relaie le conte et renforce ses émotions, comme lors de la lecture de la lettre de la petite fille disparue sur le mouvement lent du Concerto pour clarinette de Mozart, magnifiquement joué par Todd Cope. La musique soutient la narration, lorsque des lettres semblent s’envoler sur le Finale de la Symphonie classique de Prokofiev ou lorsque le Cantus d’Arvo Pärt accompagne les derniers souffles de la postière.

Cette vraie symbiose des univers était le défi à relever depuis toujours : il l’est ici, dans un conte d’une grande finesse et émotion. Dans nos entrevues au printemps, Kent Nagano semblait avoir été très touché par l’idée du deuil entré dans la vie de presque chacun. Fred Pellerin a peut-être entendu cela. Comment parler à nos morts ? Pourquoi ne pas leur écrire ? Et s’ils répondaient ?

Pellerin fait de ce substrat un bijou, qui débute de manière d’autant plus survoltée, dans la scène du bureau de poste « avec la madame incrustée dedans dans le kit de départ », qu’il viendra chatouiller, ensuite, nos cordes sensibles.

But atteint

 

Au fond s’est aussi greffée la forme. La formule de mise en scène de René Richard Cyr demeure : le conteur est installé sur la gauche et une grande boule centrale porte des projections. Ce qui s’est raffiné, avec la collaboration de Normal Studio, des concepteurs visuels remarqués dans les projets d’Alexander Shelley au Centre National des Arts, c’est la richesse des projections et l’efficacité des éclairages. En même temps que l’alliance du Verbe et de la musique, l’aspect visuel est aussi rehaussé.

À ce niveau, l’idée de conte de Noël de Fred Pellerin et Kent Nagano coche vraiment toutes les cases. C’est un magnifique spectacle de Noël, certes, mais c’est beaucoup plus que cela. C’est un projet artistique unique, typiquement québécois, qui porte notre marque et notre identité et ne peut se faire qu’ici. C’est aussi un moyen parfait d’amener de la musique classique à la télévision lors des Fêtes. Désormais la musique n’est plus un subterfuge artificiel : elle est partie intégrante logique du récit. Et même, cause chère à Kent Nagano, le chef parvient à glisser des œuvres contemporaines (Dutilleux, Pärt).

Pourquoi les astres se sont-ils enfin tous alignés pour le millésime 2021 ? Kent Nagano avait déjà réussi à Radio France une grande « mise en scène atmosphérique » de la musique lors du premier concert post-confinement. Il en a repris le Cantus de Pärt. Cette expérience l’a peut-être nourri en termes de dramaturgie musicale. Peut-être aussi qu’être détaché des affaires quotidiennes de l’orchestre permet de préparer les choses différemment.

La période et ses enjeux ont en tout cas inspiré Fred Pellerin et Kent Nagano. Maintenant que les rouages sont huilés, nous espérons les revoir, car cette bouffée d’oxygène est bien nécessaire.

La poste du paradis

Fred Pellerin (conteur), Orchestre symphonique de Montréal, Kent Nagano. René Richard Cyr (mise en scène). Œuvres de Debussy, Prokofiev, Dutilleux, Mozart, Bartók, Pärt et Bellemare. Maison symphonique de Montréal, mercredi 15 décembre. Reprises jeudi, vendredi et samedi. Diffusion sur ICI Télé le 26 décembre à 20h et ICI ARTV le 27 décembre à 20h.

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