Emanuel Ax : récital très ordinaire

Le Festival de musique de chambre, dans sa nouvelle formule automnale éclatée, avait fait fort, invitant le prestigieux pianiste Emanuel Ax à venir clore la manifestation. Le résultat n’a, hélas, pas été à la hauteur de l’affiche.
« L’un des meilleurs pianistes au monde », clamait le dépliant du Festival. Il est vrai qu’Emanuel Ax a laissé de beaux souvenirs à Montréal, notamment une excellente Sonate D. 960 de Schubert à Pro Musica en 2011.
On était très loin de cela mardi soir à la salle Bourgie, où le pianiste américain, dont c’était l’un des premiers récitals en 18 mois, nous a dit Denis Brott, directeur artistique du Festival, a débité dans un programme consacré au « dernier Chopin » un jeu peu raffiné plombé par un excès de pédale.
Si nous pleurions intérieurement pendant le 3e mouvement de la 3e Sonate de Chopin, mardi soir, ce n’est pas parce que la moindre émotion filtrait du jeu d’Emanuel Ax, mais parce que pour la première fois depuis 1er novembre, nous réalisions et ressentions dans notre chair la perte, le deuil du grand pianiste Nelson Freire. Entendre « un des meilleurs pianistes au monde » jouer Chopin, cela pouvait désormais être ça ! Heureusement, en sautant de génération, les Geniusas, Kolesnikov, Grosvenor, Rana, Richard-Hamelin et Liu vont ouvrir à d’autres expériences.
Chopin nimbé
Alors, qu’avons-nous donc entendu ? Un Chopin « pianistique » plus qu’expressif. Voilà qui peut se défendre. On a tellement entendu de « trop-plein » en la matière qu’un peu de retenue expressive ne fait pas de mal. Mais lorsqu’il y a deux thèmes, le second étant plus doux (ou « féminin », comme on disait jadis), même si on ne surjoue pas la « féminité », il n’y en a pas moins une transition, une manière de glisser d’une idée à l’autre. Ces ponts entre les idées constituent l’une des magies de la musique de Chopin. Lorsqu’on les bouscule, les escamote ou les noie dans une baignoire de pédale, l’ensemble perd beaucoup d’attrait.
Où peut mener un parcours débutant par le lourd fa mineur du Nocturne op. 55 no 2 ? Au long de la soirée, Emanuel Ax n’apporte jamais de réponse à cela. Il n’y a pas de jeu d’ombres et de lumières (fin de ce Nocturne et transition avec le suivant), pas de douce hésitation dans la pulsation (Mazurka op. 56 no 2) puisque, comme le reste (Barcarolle !), les Mazurkas op. 56 sont trop fortes et nimbées dans un excès de résonance qui en floute la découpe.
Le Scherzo no 4 et l’Impromptu no 3 sont évacués du programme annoncé, et lorsqu’Emmanuel Ax finit le 1er volet de la 3e Sonate, une partie de la salle qui ne l’a pas reconnue applaudit comme un seul homme. Pas de quoi applaudir : ce 1er volet de 3e Sonate était un triste exercice bien décousu. Le pianiste n’a eu de choix, ensuite, que d’enchaîner les mouvements attacca pour éviter tout quiproquo.
Ce qu’on a entendu était évidemment fort présentable, mais pas à la hauteur de la réputation du pianiste et, ironie de l’affaire, assurément pas du niveau de ce qu’aurait livré Charles Richard-Hamelin dans le même programme.
On peut imaginer que si Emanuel Ax a vraiment fait une pause de 18 mois, il va lui falloir plusieurs récitals pour reprendre ses marques, ses réflexes et la mesure d’une salle. Il n’avait en tout cas pas pris celle de Bourgie mardi soir.
Festival de musique de chambre de Montréal
Concert prestige : « Emanuel Ax joue Chopin ». Deux Nocturnes op. 55, Polonaise-Fantasie op. 61, trois Mazurkas op. 56, Barcarolle op. 60, Nocturne op. 62 no 2, Sonate no 3, Berceuse op. 57.