Les Cowboys Fringants reprennent du service

Composée en 2008 mais lancée il y a seulement quelques mois sur l’album Les nuits de Repentigny, la chanson En business aurait « sombré dans l’indifférence totale après [avoir été] présentée au band », affirme son auteur Jean-François Pauzé. C’est pourtant avec elle hier que les Cowboys Fringants ont choisi d’ouvrir le premier des trois concerts qu’ils présenteront au Centre Bell, et elle tombait à point : « Les Cowboys Fringants reprennent du service / On est d’retour en business ! / On est ben contents de r’faire la run de lait / Même si c’fait cent fois qu’on la fait », a scandé Karl Tremblay.
En deux douzaines de chansons et une centaine d’épuisantes minutes, Les Cowboys Fringants ont fait un pied de nez à la pandémie, rassemblant au temple montréalais du hockey des milliers de fans qui entendaient bien faire ce qu’ils n’avaient à peu près pas fait depuis mars 2020 : lâcher leur fou, tout le monde ensemble. Danser, crier, giguer. L’orchestre – les quatre membres originaux et leurs cinq accompagnateurs – avait bien planifié le coup, lançant le bal sur les caps de roues en enchaînant les plus furieuses de leur répertoire.
Mais qu’était-ce au parterre qui prenait forme dès Bye Bye Lou (de l’album Octobre, 2015) dans les premières minutes du concert ? Ce que nous n’avions pas vu depuis plus d’un an et demi : un mosh pit ! Le choc des épaules, les poussées dans le dos, l’allégresse dans le défoulement collectif ! C’est beaucoup ça, Les Cowboys Fringants : derrière les textes qui portent à réfléchir, des rythmes énergiques qui vont même jusqu’à faire perdre aux musiciens le contrôle de leur propre bolide de chanson. Ce mélange de propos, engagé ou sarcastique, et de rock et de country, avec quelques pointes de musique irlandaise comme sur la récente et diabolique La traversée (de l’Atlantique en 1774), une chanson à deux vitesses qui parle de whiskey, a tenu à rappeler Karl Tremblay.
Déjà, Les maisons toutes pareilles, Pauzé faisait la danse du pogo en grattant sa guitare, alors que les cuivres, combinés au jeu endiablé de Marie-Annick Lépine au violon fouettaient les fans. Des retrouvailles de première classe entre les fans et leur band, ce dernier ayant enfin l’opportunité de faire ce dont ils avaient été privés pendant trop longtemps, jouer sur une scène, bien entendu, mais surtout jouer les chansons de l’album Les Antipodes, célébré lors du gala de l’ADISQ en 2020 : Félix Album rock de l’année, Meilleur vendeur de l’année, Groupe de l’année et, tirée de celui-ci, L’Amérique pleure, Chanson de l’année.
Elle est arrivée en plein cœur de la soirée, lorsque Les Cowboys ont jugé bon de nous ramener sur terre, après plus d’une demi-heure passée la pédale au plancher – rendu à Paris-Montréal (de l’album Que du vent, 2011), on a commencé à voir émerger les corps du parterre pour une généreuse session de crowd surfing.
Vinrent Plus rien et sa finale étirée comme s’il était resté un peu de boucane bleue des concerts de Genesis d’il y a deux jours, la grande de La Grand-messe (2004) puis Mon chum Rémi (de Break syndical, 2002), le chœur des fans allumant les briquets modernes que sont devenus nos téléphones portables. L’Amérique pleure était entendue en vrai, sur scène, pour une première fois au Centre Bell ; le public connaissait par cœur son texte – mieux encore que Tremblay, qui a oublié une ou deux strophes d’un couplet, sans doute prit par l’émotion d’un moment de communion entre les fans et leur nouvelle chanson classique qu’il n’avait pas encore vécu avec autant d’intensité.
Les Cowboys ont rouvert la machine pour le reste du spectacle, faisant la part belle aux chansons de Break syndical (Manifestation, L’hiver approche, Joyeux Calvaire) et La Grand-messe (Ti-cul, 8 secondes), concluant avec l’antiquité Awikatchikaën, parue il y a 21 ans sur Motel Capri, et Tant qu’on aura de l’amour, tirée de L’expédition. Au rappel, entre autres, l’incontournable Les étoiles filantes, l’une des plus belles du répertoire des Repentignois d’origine.
Ça a fait du bien, ce concert. Oublier pendant une heure et demie les tracas, viraux ou autres, et vivre un moment, tous ensemble, sans écrans interposés. Les Cowboys remettront ça encore ce soir et demain, avant de revenir le 27 décembre pour une supplémentaire. Le groupe prendra la route du Québec dès le 9 décembre avant d’aller faire un saut en Suisse, en Belgique et en France tout le mois de février.