L’appât du microsillon

Le collectionneur de disques vinyle Sébastien Desrosiers
Photo: Adil Boukind Le Devoir Le collectionneur de disques vinyle Sébastien Desrosiers

Victime d’une popularité croissante au cours des dernières années, le marché du vinyle se trouve aujourd’hui en situation de surchauffe alors que l’offre peine à répondre à la demande. Flairant la bonne affaire, des collectionneurs poussent le bouchon un peu trop loin et vendent les vinyles de certains artistes québécois à des prix exorbitants qui peuvent atteindre quelques milliers de dollars.

En surfant sur le site de revente eBay, on peut d’ailleurs tomber sur un revendeur qui tente d’écouler le vinyle de l’album Menteur de Jean Leloup pour pas moins de 2200 $. Le même collectionneur ne fait pas non plus dans la charité pour le microsillon All Dressed de Plume Latraverse, offert à la modique somme de 2600 $ !

« Ça ne vaut pas du tout ça. J’ai vendu Menteur le mois dernier à 60 $. Ça tourne autour de 50 et 100 $. Quant à Plume, j’ai déjà vendu un vinyle de lui à 200 $, mais c’était un album beaucoup plus rare que celui-là. Il n’y a aucun vinyle qui vaut 2000 $, à part peut-être celui d’une édition limitée d’un chanteur obscur, et encore… » commente Eduardo Cabral, copropriétaire du disquaire Sonorama, qui a pignon sur rue depuis une dizaine d’années dans le Mile-End.

Il n’est pas le seul à tourner au ridicule l’appât du gain de ce revendeur anonyme. L’animateur et collectionneur MC Gilles s’en est lui aussi moqué cette semaine sur les réseaux sociaux, ce qui a porté l’attention de bon nombre de collectionneurs sur ces deux offres peu alléchantes qui traînent sur le Web depuis un bon moment déjà.

Personne ne pense sérieusement qu’un jour, quelqu’un pourrait vouloir payer dans les quatre chiffres pour un vinyle de seconde main de Jean Leloup ou de Plume, aussi fan soit-il. Et ce, même si Menteur, le premier opus de Jean Leloup, est devenu une véritable pièce d’anthologie, immédiatement renié par le rockeur de Sainte-Foy dès sa sortie en 1989.

Croissance exponentielle

 

Ces offres ont beau être caricaturales, reste qu’elles témoignent de la surenchère à laquelle se livrent amateurs et collectionneurs sur le marché du vinyle depuis une dizaine d’années.

« C’est courant que les gens paient trop cher sur Internet pour des vinyles. Il y a des acheteurs qui sont trop impatients et des vendeurs qui sont trop gourmands. C’est la rencontre des deux qui fait qu’il y a une augmentation des prix », illustre Jean-François Rioux, propriétaire de la boutique Le Vacarme, sur la Plaza Saint-Hubert.

Chez ce disquaire indépendant, comme sur le Net, certains vinyles sont plus difficiles à dénicher, étant donné qu’il n’y a pas eu de réimpression depuis des lustres. Les bons collectionneurs savent donc s’armer de patience, parfois durant des mois avant de mettre la main sur le disque convoité.

Or, M. Rioux constate que c’est une faculté qui se perd de plus en plus aujourd’hui avec l’achat en ligne, qui nous a habitués à avoir tout presque ici et maintenant.

« Il y a une vingtaine d’années, les seuls qui s’intéressaient encore au vinyle, c’était des collectionneurs ou des mélomanes. Aujourd’hui, c’est vraiment tout le monde », ajoute Sébastien Desrosiers, l’un des plus grands collectionneurs au Québec.

Les chiffres tendent à lui donner raison. Avant de se contracter légèrement l’an dernier à cause de la pandémie, le marché du vinyle au Québec a connu une croissance fulgurante au cours des dernières années, alors que les ventes ont eu le temps de doubler entre 2015 et 2019.

Plume s’envole

Cette hausse de la demande ne se traduit pas nécessairement par une hausse des prix des classiques de la chanson québécoise. Même s’ils sont très prisés des mélomanes, la plupart des albums de Jean-Pierre Ferland, de Robert Charlebois ou encore d’Harmonium, par exemple, demeurent abordables. L’offre reste en effet abondante, comme des tonnes de copies ont trouvé preneurs à l’époque et que des rééditions ont eu lieu depuis.

Par contre, l’œuvre de quelques artistes a pris beaucoup de valeur avec le temps, à cause de la rareté de leur matériel. C’est le cas d’Offenbach, mais surtout de Plume Latraverse, devenu en quelques années l’un des chanteurs québécois les plus prisés sur vinyle.

« Le premier album de Plume, Triniterre, je l’ai eu quatre fois dans ma vie. Chaque fois, je l’ai revendu 250 $. Mais aujourd’hui, si on trouve une copie en parfaite condition, on peut le vendre pour 500 $ en quelques minutes. Les fans de Plume lui vouent un tel culte, un peu comme si c’était une rock star américaine », s’étonne Sébastien Desrosiers, qui précise toutefois qu’aucun album du roi du folk sale québécois ne vaut 2600 $, tel qu’affiché actuellement sur eBay.

M. Desrosiers a lui aussi ses dadas en matière de musique québécoise. Le cofondateur de la maison de réédition Trésor national a déjà déboursé 500 $ pour un 45 tours des Sinners, groupe rock mythique des années 1960 au Québec.

Règle générale, les mélomanes qui ne jurent que par la plaque tournante s’arrachent les disques des groupes de cette époque. Par nostalgie, essentiellement.

Or, une nouvelle génération commence elle aussi à s’intéresser aux vinyles, même si elle a écouté ses albums fétiches en CD ou en cassettes. Aussi inusité que cela puisse paraître, Sébastien Desrosiers se fait de plus en plus demander de versions vinyles de Marie Carmen ou des B.B, par exemple.

« Le premier album des B.B. est facilement trouvable en vinyle, mais le deuxième, Snob, qui est sorti en 1992, est beaucoup plus rare. À l’époque, on était en pleine transition vers le CD et il n’y a eu que quelques copies en vinyle. Si j’en trouve, ça peut facilement monter entre 150 et 200 $ », estime celui qui dit ne pas voir la fin de la progression du vinyle.

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