L’évidente victoire de Marsö Margelidon

Ça ne faisait aucun doute. La dégaine, la voix, les déhanchements, l’entregent, l’aisance… et les chansons : Marsö Margelidon en a imposé sur tous les plans à Granby, ce mercredi soir de finale qui célébrait le retour du présentiel, comme on dit désormais. Le vétéran festival a ouvert à nouveau les portes du Palace de Granby aux gens du coin et de l’industrie, en plus de diffuser performances et cérémonie à travers les réseaux sociaux.
On ne s’est pas demandé un seul instant si ça avait lieu pour vrai ou non, cette finale du Festival international de la chanson de Granby, 53e du nom. Pas de quoi virer complotiste toutefois et se demander devant son écran d’ordinateur si les applaudissements n’étaient pas préenregistrés. Ça s’entendait. En montant le volume, on y était presque.
Le mérite revient en partie à l’auteur-compositeur-interprète-politicien-activiste pour la paix Dom Lebeau, qui n’a pas ménagé ses efforts pour brasser la place, oscillant sous sa houppe entre animateur et meneur de claque. Ce n’était quand même pas encore le retour au bon vieux temps pour ce concours plus que cinquantenaire qui a couronné un Pierre Lapointe autant qu’une Lisa LeBlanc : on a rappelé plus d’une fois les consignes sécuritaires, masque masque, distance distance, mais c’était mille fois mieux que l’édition virtuelle de 2020.
Des inclassables pour commencer
Donnons une place à chaque finaliste. Patatrak, d’abord, groupe montréalais, assez inclassable. Sa chanson d’intro, Silence bataille, a donné le ton sur tous les tons, à la fois chanson, reggae, funk, psych et pas patraque, malgré la tentation d’écrire des mots en «-ak ». Ça se passait à plusieurs, autour du chanteur-claviériste Jean-Dominic Giguère. Ils sont au moins cinq à la traque de patates, dont une violoniste : on n’était pas très loin des Cowboys Fringants dans l’esprit de corps. La chanson parlée chantée Vin cheap faisait plutôt penser à du Philippe Brach néo-prog, ce qui n’était pas plus mal. Ça déménageait bien, sans jeter par terre. Ils avaient du plaisir, c’est ce qui compte, non ?
Une BéLi très à l’aise
BéLi n’a pas mis longtemps à installer son ambiance. D’entrée de jeu, la chanson À vos marques a balisé un rap relax, moitié chanson soul en français. On s’est sentis instantanément au chaud dans son linge « lousse » et sa joie plus qu’enveloppante. Son chandail, de fait, est une petite courtepointe, a-t-elle précisé, dont les morceaux proviennent de vêtements de femmes victimes d’agressions sexuelles. C’est le propos de la chanson Lolita, que la jeune femme de Saint-Alphonse-de-Granby avait déjà interprétée l’an dernier au festival. « C’est encore d’actualité », a-t-elle insisté. Personne n’en doutait.
Mclean pas facile à suivre
« De Sudbury, Ontario, Mclean ! » a précisé Dom Lebeau dans sa présentation du finaliste suivant, comme si ça allait nous aider à comprendre sa sorte de rock, plutôt générique dans le genre. Un peu de prog dans les mollets, des riffs dans le poignet, portant une poésie pas facile à suivre, le Mclean chanteur a bien peiné à épouser les contours de ses mélodies. Entre Histoire immortelle et Picaroon, il y avait un monde, auquel nous n’avons pas eu beaucoup accès. On aura au moins goûté son picking acoustique très pro, faute de pouvoir le suivre dans les circonvolutions de ses métaphores.
La délicatesse de Mélina Lequy
Rien à redire, peu à dire. Mélina Lequy écrit et compose de la chanson douce. Ailleurs et Promesse se ressemblaient trop pour qu’on s’en souvienne, mais étaient également agréables et tendres. On pourrait appeler ça de la chanson discrète. Se distinguait par une plus grande douceur encore la troisième chanson, intitulée Je voudrais écouter de la grande musique : on pourrait parler ici d’extrême délicatesse. En toute franchise, cela passait un peu sous le radar.
Le pro Marsö Margelidon
Le gagnant aura été le concurrent récalcitrant, il en faut un par édition. C’est Dom Lebeau qui l’a dénoncé : Marsö Margelidon n’avait pas cru bon s’inscrire, c’est un copain qui l’a commis. Sa manière ne manquait pourtant pas de charme, un peu Jonasz qui aurait beaucoup écouté le Gainsbourg de Melody Nelson. Ce n’est pas un défaut, ça tenait sans effort la route. On a été séduits par le professionnalisme de la proposition, par la culture chansonnière du gaillard. Savoir parler au public, bercer un auditoire, permettre le sain défoulement du groupe d’accompagnement (dont Andre Papanicolaou et Joss Tellier, notables tripeux), ce n’était pas rien. Solo de trompette avec ça ? Une « chorégraphie qui se danse assis » ? Marsö n’aura pas lésiné sur les moyens pour se rendre incontournable. Lauriers plus que mérités.
La fournée 2021 n’aura pas été très mémorable, de la même façon que le contexte pas tout à fait postpandémique ne laissait pas tellement de latitude. Il faisait quand même bon se dire que ça se pouvait à nouveau sans faire semblant, cette rencontre d’artistes en devenir, de gens de l’industrie et d’un public bien présent, tous manifestement contents. L’an prochain, retour à la normale totalement normale ? Tous l’ont promis.