Bryan Cheng, le pilote automatique et les protozoaires

Après deux concerts festivaliers et enthousiasmants des Violons du Roy et Nicolas Ellis la semaine dernière, les deux programmes assurés par l’OSM sous la direction de Jacques Lacombe ont oscillé entre tranquille routine et calamité, sauvés par quelques brillantes individualités de l’orchestre et par le jeune violoncelliste Bryan Cheng.
La programmation est le grand sujet de satisfaction des trois concerts dirigés par Jacques Lacombe lors du Festival 2021. Celle-ci s’est distinguée par sa remarquable intelligence thématique : enfermement et libération pour celui du 17 juillet ; déclinaison du concept de classicisme, vendredi ; raffinement français, samedi. Le tandem de la direction du festival, aussi, a trouvé ses marques, avec des mots de bienvenue chaleureux, bilingues, sympathiques et succincts.
Au cœur de l’orchestre
Le directeur artistique Renaud Loranger n’a pas manqué d’adresser des remerciements appuyés à l’OSM, qui a cimenté cette édition 2021. Pour la direction du festival, cela solidifie et simplifie l’offre de concerts. Exit « l’orchestre du festival » qu’on a vu pendant quelques années. Il est vrai que le grand spécialiste québécois de la formation des orchestres ad hoc, qui œuvrait pour l’organisation, a fait partie de l’exode de l’ère Gregory Charles.
Mais la qualité de l’affiche entraîne-t-elle la « patte festivalière » voulue ? Pour comprendre la sensation de banalité, l’impression de voir des gens expédier les affaires musicales courantes, comme ce fut le cas vendredi et samedi, il faut parfois regarder plutôt qu’écouter.
Samedi soir, lors de la Symphonie en do de Bizet, pourtant la meilleure de toutes les prestations symphoniques de la fin de semaine (on parle ici d’esprit, car dans le 3e mouvement, on oublie le pataquès des violons II au début, un raté des cors et le flottement des violons I à la réexposition), nous avons scruté la scène pour chercher à comprendre l’interaction entre l’OSM et Jacques Lacombe. Nous avons cherché longuement… Peut-être, au fond, chacun faisait-il son boulot de son côté, en bon et poli entendement.
L’idée de politesse est très importante. Dans une relation polie, personne ne dérange personne. Une Symphonie « Londres » de Haydn avec un orchestre aux effectifs cossus et des phrasés lisses et gentiment élégants, là où tout rebondissait la semaine dernière avec Ellis et les Violons du Roy. Une Symphonie classique de Prokofiev sans esprit ludique, alors qu’on s’amusait tant dans Boccherini au même endroit.
Haydn, Prokofiev et Bizet sont sur pilote automatique. Les rayons de soleil qui humanisent la chose se nomment Tim Hutchins, flûte, et Theodore Baskin, hautbois (Bizet, 2e mouvement). À une époque où l’on sanctifie les chefs, relisons le livre de Christian Merlin, Au cœur de l’orchestre, pour nous rappeler que les héros sont les musiciens. Et, surtout, méditons sur cet OSM avec ou sans Hutchins (bof !) avec ou sans Plante au cor anglais (amère expérience), avec ou sans Baskin. C’est bien plus déterminant sur le plan identitaire qu’avec ou sans Nagano… Ces héros arrivant en bout de parcours, le défi de Rafael Payare sera là : donner une identité comparable au futur « nouvel OSM ».
Excellent violoncelliste
La fin de semaine a été illuminée par la présence du violoncelliste Bryan Cheng, vainqueur du Concours OSM en 2019. Il avait choisi le rare 2e Concerto pour violoncelle de Saint-Saëns qu’il jouait sur le Stradivarius « Bonjour » de la Banque d’instruments du Canada. Cheng est le bon choix pour le prêt inestimable de cet instrument qui a créé ce même 2e Concerto. Il a une projection très raffinée, jamais trop appuyée et c’est un artiste fin, distingué, d’une grande classe, jamais racoleur. Tout comme Kerson Leong il y a une semaine, Bryan Cheng a fait de brillants débuts à l’amphithéâtre. On le reverra.
Avant Saint-Saëns, Jacques Lacombe a dirigé la Suite Pelléas et Mélisande de Fauré. Quelle coupable léthargie du « Prélude » ! Quand Fauré veut de la lenteur, il l’écrit (cf. « Introït » du Requiem) et ne met pas « quasi adagio ». Un tel parti pris, rivé sur d’étranges indications métronomiques, déséquilibrait l’œuvre. Car que faire, alors, du « molto adagio » de la « Mort de Mélisande » ? Rien. Et c’est bien ce qui est arrivé !
Mais il y eut pire. Le Concert champêtre de Francis Poulenc, vendredi, présenté par Jacques Lacombe comme le « Concerto champêtre » (et ça n’avait même pas l’air d’un lapsus).
Le rut du protozoaire
Le problème est très simple. Lorsque Poulenc composa le Concert champêtre en 1928, à la suite de sa rencontre avec Wanda Landowska, les clavecins étaient des instruments imposants et ferraillants de typologie sonore « boîtes à punaises », notamment le Grand clavecin de concert Pleyel promu par Landowska.
Ce n’est pas forcément beau, mais c’est l’instrument qui peut faire face à un orchestre avec les nuances et attaques ff et fff de la partition. C’est ce type de son que l’on entend dans la version de référence, Ruzickova-Sanderling (Supraphon).
Avec le mouvement baroque s’est développée la facture de répliques de clavecins du XVIIIe siècle, instruments des salons de palais princiers, que l’on a parfois eu l’idée saugrenue d’associer à cette œuvre. C’est ce qui est arrivé vendredi. Sauf que le petit frémissement sonore du genre caresse d’une membrane de protozoaire provoquant 2,5 décibels au repos et 3,2 décibels en rut (si tant est que le rut du protozoaire ait été documenté !) ne provoque rien dans ce concerto.
Si vous trouvez l’image surréaliste et inconvenante, rassurez-vous : c’était surréaliste et inconvenant. Même avec une (mauvaise et insuffisante) amplification, on ne joue pas un concerto pour tuba à la flûte à bec : l’univers sonore ne colle pas.
Sur le plan musical, le Concert champêtre est une œuvre aux atmosphères très diverses qui se succèdent en de nombreux revirements marqués par le ton souvent canaille de Poulenc. Non seulement le manque d’impact des revirements initiés par le clavecin dans ce rapport sonore irréaliste était pénalisant, mais de manière générale, les ruptures de ton et de tempo à l’orchestre restaient trop molles.
Cette lecture sans grand esprit par rapport aux indications de la partition voyait, comme s’il fallait remplir le calice, des affects surajoutés par la claveciniste : césures au clavecin au début du 3e mouvement, rubatos chopiniens dans le passage arpégé du premier mouvement, certes « lent » et « à jouer librement », mais dans un style français.
Un dernier mot pour signaler la surprenante différence des publics ; très respectueux et attentif samedi, étrangement dissipé vendredi, un peu comme si certains avaient trouvé leurs billets dans des pochettes-surprises.