L'OM dévoile ses couleurs de l’au-delà

L’Orchestre Métropolitain (OM) donnait, cette fin de semaine, son ultime concert d’une saison maudite. Programme ardu, présenté comme des « couleurs d’ici », de Sibelius à Boudreau. Programme dont Yannick Nézet-Séguin avouait en préambule qu’il n’aurait pas existé sans la « crise mondiale ». Les mots sont bien choisis, car assez génériques pour laisser place à interprétation.
Alors, interprétons. La vie d’un héros (Tombeau de Claude Vivier) est une œuvre de Walter Boudreau, un concerto pour violon en fait. Un vrai concerto, mais au sens de deux entités qui évoluent en parallèle. Quand le violon tente de s’élever, la masse des cordes de l’orchestre zèbre l’atmosphère de glissandos descendants comme un monde maléfique entourant un être à part.
Je ne peux pas respirer
Vous ne pensiez pas pouvoir être ému par une partition de Walter Boudreau ? Yannick Nézet-Séguin parle de celle-ci comme d’une « pièce majeure du répertoire québécois des dernières décennies ». Ce Boudreau qui distord Bach ne le fait pas par hasard. Il est l’ami de Vivier, un créateur qui a voulu nous faire écouter la musique autrement.
Walter Boudreau a composé ici une suite au Concerto à la mémoire d’un ange. Son ange à lui (soliste) quitte la scène pas à pas, à la fin de l’œuvre, mais sa voix ne s’éteint pas. Yukari Cousineau interprète magnifiquement au violon la voix de Claude Vivier.
Crois-tu en l’immortalité de l’âme ? (Glaubst du an die Unsterblichkeit der Seele ?) : tel est le titre du manuscrit inachevé de l’œuvre chorale retrouvé le 12 mars 1983 sur la table de travail dans le domicile parisien où gît Claude Vivier assassiné.
Le violon de Yukari Cousineau chante et, soudain, nous comprenons. Il chante à la place de celui qui ne pouvait plus parler. Nous comprenons pourquoi. Et surtout, pourquoi maintenant. « I can’t breathe ! » (je ne peux pas respirer). Ces paroles filmées par un désormais Prix Pulitzer ont engendré une prise de conscience (ou crise ?) mondiale. Ce furent aussi, en français, possiblement, les dernières pensées ou les dernières paroles de Claude Vivier, étouffé par son assassin.
Personne à l’OM ni le très fort en gueule compositeur ne nous a rien dit, personne n’a rien dévoilé ou mis en avant. Si telles étaient effectivement les motivations de la programmation de La vie d’un héros, cela rendrait cet acte artistique d’autant plus éminent. Car alors que tant d’institutions font assaut de contrition programmatique factice, nous aurions assisté à la plus lumineuse remarquable, vibrante et bouleversante idée de programmation de la saison.
Sibelius pour le disque
Trajin, de la compositrice Alejandra Odgers, se voulait une métaphore de l’ensemble du concert menant du chaos à l’ordre. L’œuvre repose sur l’avancée, le rythme, les syncopes et une croissance de volume. C’est très bien réalisé.
La 3e Symphonie de Sibelius était enregistrée pour un disque ATMA. On a craint, dans un premier temps, que le surcroît de réverbération dû au remplissage très partiel de la salle nuise à la clarté du discours. Mais Yannick Nézet-Séguin et ses musiciens ont choisi le bon angle en soignant une très grande clarté polyphonique et une articulation presque exagérée (rien n’est pire, dans une 3e de Sibelius, que des traits savonnés). On admirait particulièrement, pendant toute l’exécution, l’énergie des violons II et des altos.
La caractéristique principale de l’interprétation du chef québécois est le tempo très mesuré, pastoral et nostalgique, du 2e mouvement. L’indication de Sibelius « Andantino con moto, quasi allegretto » n’invite pas a priori à ce climat de berceuse mélancolique. Mais ce mouvement a par ailleurs un caractère clairement affirmé de nocturne qui peut permettre cette lecture paisible dictée par un caractère musical que l’on désirerait attribuer à ce volet.
Dans les faits, comme cela a été annoncé par le chef, Sibelius lui-même a défini son Finale comme « la cristallisation du chaos ». Le compositeur amène diverses sources à confluer. Il est intéressant d’entendre comment Yannick Nézet-Séguin dessine progressivement l’affirmation de ces thèmes.
Difficile de prévoir comment sera reçue la vision particulière du mouvement central par la critique à la sortie du disque, mais ce que nous avons entendu en salle était une grande symphonie dont la grandeur a été prise très au sérieux, alors que la Troisième est souvent laissée pour compte. Sera-t-elle couplée à la Quatrième, symphonie noire, absolument passionnante, que nous avons très hâte d’entendre ?
Des webdiffusions québécoises à ne pas manquer
Orchestre Métropolitain « Mozart, Bourget, Marsolais » jusqu’au 20 juin
Orchestre symphonique de Montréal « Nuits d’été de Berlioz » jusqu’au 22 juin. Et « Voix de femmes, une ode à la vie », gratuit du 15 au 22 juin
Orchestre classique de Montréal « De Mozart à McCartney » jusqu’au 22 juin
I Musici « Défi I Musici » jusqu’au 20 juin
Société de musique contemporaine du Québec Dialogues. Le 17 juin à 19 h