Un vrai casse-tête pour les concours musicaux

Les scénarios se multiplient pour maintenir à flot un pan de la vie et de l’industrie musicales.
Photo: Anthony Wallace Agence France-Presse Les scénarios se multiplient pour maintenir à flot un pan de la vie et de l’industrie musicales.

Alors que le Concours musical international de Montréal — Piano 2021 entame sa dernière ligne droite, qui opposera huit vidéos de jeunes pianistes diffusées à compter de lundi, les concours internationaux font face à des décisions stratégiques et organisationnelles déchirantes.

Concours Long-Thibaud annulé ; Concours de Montréal en édition entièrement virtuelle ; Concours Chopin reporté de 2020 à octobre 2021 ; concours Van Cliburn et Honens repoussés de 2021 à 2022 ; concours de Leeds et Busoni alimentés par des tours préliminaires virtuels suivis d’une finale sur place six mois plus tard : les scénarios se multiplient pour maintenir à flot un pan de la vie et de l’industrie musicales. Avec les remaniements dus à l’année pandémique, 2021 se transforme pourtant en feu roulant de compétitions pianistiques de haut calibre.

Dans le cadre de l’édition montréalaise Piano 2021, fruit du report du concours de 2020, tous les candidats sélectionnés il y a un an ont participé à l’exercice.

Dédoublements

 

Les qualifications du Français Marcel Tadokoro et de la Coréenne Su Yeon Kim pour la finale du Concours musical international de Montréal (CMIM) la semaine prochaine vont-elles causer des tensions diplomatiques musicales entre le Canada et la Belgique ? On entendra le premier le 10 mai et la seconde le 11 mai concourir au CMIM, alors que tous deux font partie des 58 pianistes du Concours Reine Élisabeth de Belgique qui se déroule à Bruxelles depuis le lundi 3 mai.

Tous les candidats au Reine Élisabeth se trouvent à Bruxelles en ce moment, après une quarantaine. Su Yeon Kim et Marcel Tadokoro ont joué leur épreuve préliminaire à Bruxelles les 4 et 8 mai, tout en y enregistrant leur épreuve finale de Piano 2021 diffusée la semaine prochaine. Les circonstances pandémiques et l’édition numérique du CMIM ouvrent une situation tout à fait inédite dans l’histoire !

« Nous avons pris le parti des concurrents », nous confie Christiane LeBlanc, directrice générale du CMIM. « Nous aurions pu annuler une seconde année de suite, mais nos pianistes se préparaient depuis un an et demi et on leur devait d’être entendus, de pouvoir gagner des prix et de tourner la page. »

D’ailleurs, le président de la Fédération des concours internationaux a envoyé un message aux organisateurs : « Il nous encourageait à trouver de nouvelles façons de tenir une édition plutôt que d’annuler une seconde fois. » Pour cela, la Fédération a accepté que certaines normes définissant un concours international ne soient pas suivies à la lettre, comme l’obligation de tenir une épreuve finale avec orchestre.

Normalement, nous sommes tous un peu en compétition, mais là, nous travaillons tous ensemble et avons ouvert les portes pour échanger des idées et des solutions

 

Seule la levée de cette obligation permet la tenue d’une édition numérique, au grand soulagement de la manifestation montréalaise qui travaille déjà sur l’édition Chant 2022. Christiane LeBlanc nous apprend que c’est le concours de Bruxelles qui a trouvé la salle et l’équipe vidéo pour l’enregistrement de la vidéo de la finale de Su Yeon Kim et Marcel Tadokoro, qui se retrouveront d’ailleurs au Concours Chopin à Varsovie en octobre.

D’autres concurrents étaient communs au CMIM et à Bruxelles, mais n’ont pas franchi le cap de la demi-finale numérique montréalaise : Kyoungsun Park ; Alexeï Trushechkin ; Cristian Sandrin, qui s’est aventuré avec quelques accrocs dans les Variations Goldberg ; Dmitry Sin, auquel l’École normale à Paris a donné un piano désaccordé ; et l’excellente Américaine Stephanie Tang.

Christiane LeBlanc note un changement d’état d’esprit des directions des concours. « Normalement, nous sommes tous un peu en compétition, mais là, nous travaillons tous ensemble et avons ouvert les portes pour échanger des idées et des solutions. » Après avoir décidé d’être « en action en novembre plutôt qu’en réaction en avril », et de tenir une édition numérique, le CMIM a commencé par rejoindre les concours qui avaient lieu au printemps : Rubinstein, Reine Élisabeth, Géza-Anda, Leopold-Mozart. « Connaissant leurs intentions, nous avons devancé nos dates pour permettre aux concurrents de faire plus qu’un concours. Après une année de pandémie, on ne voulait pas priver ces jeunes d’avoir toutes les chances possibles », nous dit Christiane LeBlanc.

La panoplie qui s’offre aux jeunes pianistes en 2021 sera impressionnante : Rubinstein, Montréal, Reine Élisabeth, Géza Anda, Iturbi, Maria Canals, Cleveland, Busoni, Leeds, Chopin et Hamamatsu… entre autres. On y ajoutera la nouvelle « Grand Piano Competition » des moins de 18 ans à Moscou, patronnée par Denis Matsuev, qui se tenait à Moscou cette semaine et que l’on peut voir sur Medici.tv.

La tenue des concours internationaux a évidemment été rendue périlleuse en raison de la situation des risques liés aux voyages internationaux et des quarantaines. Le CMIM est d’ailleurs, avec le Concours de Cleveland en juillet-août, le seul concours majeur du continent. Le report à 2022 du Concours Van Cliburn est fort logique vu sa stature et son fonctionnement. Malgré cela, le mode de présélection des candidats sera changé. Jadis, un jury parcourait le monde l’année précédant la compétition pour entendre les candidats sur divers continents. À l’inverse, en 2022, 72 pianistes se rendront au Texas en mars et 30 seront admis à revenir en juin pour le concours.

Les défis en matière d’intendance sont légion. À Bruxelles, distanciation oblige, on comptera 12 demi-finalistes et 6 finalistes, contre 24 et 12 habituellement. Les finalistes séjournent en effet à la Chapelle musicale Reine Élisabeth pendant une semaine pour assimiler une partition inédite. Par ailleurs, la scène de la salle de concert a été adaptée en vue de la grande finale avec orchestre.

À Montréal, pour la version numérique, le défi était d’offrir des conditions équivalentes à chaque candidat. « Allions-nous être capables de porter à l’écran la musicalité ? L’objectif était de mettre en valeur le talent de ces jeunes. En tout cas, nous nous sommes donné les moyens de le faire », résume Chantal Poulin, cheffe des opérations de Piano 2021.

Équipes recommandées

 

Les prestations des 26 candidats du CMIM ont été relayées à partir de 14 villes. « Nous avons contacté 14 salles munies de pianos Steinway modèles D. Piano, son, vidéo et éclairage étaient réglés par un cahier des charges. Il y avait un choix de micros possibles, une distance entre micros et piano et des angles et positionnements des caméras », nous dit Mme Poulin.

Bon nombre d’équipes ont été recommandées par les salles. « Nous avons aussi échangé avec le Concours de Leeds et le Concours Busoni, dont la première épreuve était en ligne. Ils avaient souvent expérimenté une salle et une équipe vidéo, et pouvaient nous donner des contacts », relaie Christiane LeBlanc.

À l’autre bout, l’organisation du CMIM s’est assuré de la qualité de l’équipement des membres du jury. Économiquement, une telle édition est presque une aubaine. Elle permet au concours d’exister, en le privant certes de revenus de billetterie (qui ne comptent que très marginalement), mais en lui permettant d’économiser sur tous les gros postes de dépenses : prestation de l’orchestre et location de la Maison symphonique lors des deux soirs de finale, voyages des candidats, hébergement du jury.

Une partie de cet argent a été investie pour optimiser les conditions dans lesquelles les candidats ont évolué. « Nous avons un partenariat avec Steinway, qui proposait d’accueillir les concurrents dans leurs magasins Steinway partout dans le monde. Mais nous avons tenu à la salle de concert avec une acoustique de salle de concert », insiste Christiane LeBlanc.

Zoom sur la dernière ligne droite

La phase finale de Piano 2021 a été enregistrée dans divers endroits cette semaine, après l’annonce des résultats de la demi-finale, le 30 avril dernier. Les prestations seront distillées entre lundi et jeudi à raison de deux prestations par jour, à 10 h et à 11 h, à commencer par la Canadienne Alice Burla et le Français Marcel Tadokoro. Mardi, les deux Coréennes Su Yeon Kim et Chaeyoung Park seront suivies mercredi du Japonais Yoichiro Chiba et de la Chinoise Ying Li (également qualifiée à Leeds). Le Français Dimitri Malignan et l’Italien Francesco Granata (aussi en lice pour le Busoni) mettront, jeudi, un point final à une édition hors des sentiers battus dont les résultats seront proclamés vendredi à 10 h.

 



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