Paupière, monstre ou superhéros?

Sade sati, second disque du duo électropop Paupière, emprunte son nom à un concept trouvé dans l’astrologie indienne, aussi appelée astrologie védique, car tirée du Véda, l’ensemble des textes fondateurs de l’hindouisme et de la littérature indienne. Le Sade sati est un concept apparemment terrifiant, presque autant peut-être que la pochette de cet album : une peinture de Julia Daigle et son complice Pierre-Luc Bégin représentés comme les vampires d’une vieille affiche de film d’horreur de la Hammer Film Productions.
« Si c’est ce que la pochette t’évoque, on est contents ! » dit Pierre-Luc Bégin en sursautant. Julia nous éclaircit sur sa symbolique : « Elle nous montre comme deux enfants, des jumeaux, produits d’une société dystopique, alors qu’on découvre des reliques du rock, disparu ou censuré, qu’on essaie de reproduire avec des machines. Qu’on soit des superhéros ou des monstres, c’est à toi de choisir, finalement. »
Le symbolisme de cet album prend une tournure plus étrange en analysant son titre : le Sade sati survient lorsque saturne passe sur la lune en fonction de votre « carte de naissance ». Ou quelque chose du genre que Julia décrit mieux ainsi : « C’est le retour de Saturne, un phénomène qui arrive aux sept ans et demi — c’est pour ça qu’on a appelé l’album ainsi, parce qu’au moment de trouver un titre à l’album, on a compris que ça faisait exactement sept ans et demi qu’on travaillait ensemble. C’est un moment qui est craint dans la culture hindoue ; un moment de récolte, mais aussi de totale destruction. Un moment pour faire table rase et tout changer, mais aussi pour s’affirmer. »
« C’est un concept, résume Julia. On boucle quelque chose, on revient aux sources, en duo ». Paupière est né de la collaboration entre Julia et Pierre-Luc, qu’on voit aussi tenir la rythmique au sein du groupe We Are Wolves. À la sortie de son premier album À jamais privé de réponses (2017), Éliane Préfontaine s’était jointe au noyau, mais l’a quitté pour fonder une famille. « Un trio, c’est une drôle de formation, suggère Julia. S’il faut prendre des décisions, il arrive souvent qu’on se retrouve à deux voix contre une, alors qu’à deux, c’est plus simple : ou on est d’accord, ou on ne l’est pas. »
Émancipation
Ressoudé, Paupière offre aujourd’hui un disque compact, intense et intensément mystérieux, à la fois punk et dansant. Sept chansons, trois interludes, une petite décharge électropop aux mélodies mieux affirmées, aux textes intrigants (No.00, ADN), aux synthétiseurs aux couleurs irradiantes, aux rythmiques franches « construites avec presque juste de la vraie batterie, à peine de drum machine », insiste Pierre-Luc.
C’est la première fois que j’arrive avec la conviction que je ne changerais rien à ce disque
« Ça donne aux chansons une dimension, une grandeur, à cause des fréquences des cymbales, de la caisse claire, l’intention qu’on y met lorsqu’on en joue au lieu de programmer une boîte à rythmes. Y a pas une boîte à rythmes qui peut faire ça. »
Un disque de contrastes, avec ses moments légers, comme dans ce relent de dance des années 1980 dans la rythmique de Cœur monarque et la ballade New Balance, qui rappelle l’influence de la pop française sur le son du duo. « C’est la première fois que j’arrive avec la conviction que je ne changerais rien à ce disque, répète Pierre-Luc. Je trouve qu’il est lumineux par moments, les mélodies sont bonnes, les textes sont le fun. Tu peux l’écouter attentivement pour te soucier des arrangements, y a du détail. »
Nourri des influences de Brian Eno, Gary Numan et, étonnamment, Robert Wyatt (la bouée de sauvetage de Julia durant le premier confinement), Sade sati est l’album qui marque l’émancipation du duo, estime Pierre-Luc Bégin. « Celui par lequel on embrasse notre destin d’artiste à 100 %. Y a plus de temps pour l’hésitation : je m’enligne sur mes quarante ans, je suis ce que je suis, un drummer de rock et un chanteur ! »
Julia fait écho à ce sentiment en affirmant que Sade sati est, selon elle, un disque de rock — fait avec des synthés puisqu’aucun deux ne sait jouer de la guitare électrique. « En duo, précise Julia, on se sent tous les deux plus punk. Comme si avec cette formule retrouvée, on ne se mettait plus de limites. J’ai toujours eu envie d’aller, d’explorer davantage. » Pierre-Luc réplique : « On a toujours été un peu punk, mais là, que l’album, à mon sens, sonne plus organique [en raison de la batterie], on sent plus la hargne, le côté corrosif ».
Un lancement aura lieu le 21 mai, au Ministère.