Front commun pour la diversité sur les ondes

L’autrice-compositrice-interprète Roxane Bruneau occupait la première position du palmarès radio francophone au Québec la semaine dernière grâce à sa chanson «À ma manière», devant Vincent Vallières, 2Frères, Jérôme 50 et Les Cowboys Fringants.
Photo: Valérian Mazataud Le Devoir L’autrice-compositrice-interprète Roxane Bruneau occupait la première position du palmarès radio francophone au Québec la semaine dernière grâce à sa chanson «À ma manière», devant Vincent Vallières, 2Frères, Jérôme 50 et Les Cowboys Fringants.

À l’occasion de l’examen du cadre réglementaire relatif à la radio commerciale mené par le CRTC, quatre associations représentant des acteurs de l’industrie de la musique déplorent la pauvre représentation des femmes, des minorités ethniques et des peuples autochtones sur les ondes. Ils réclament la création d’un comité spécial chargé d’assurer une diversité musicale reflétant celle de la société canadienne. Certains acteurs vont jusqu’à suggérer l’imposition de nouveaux quotas. Ça passe ou ça casse ?

Le chiffre frappe. Dans son mémoire déposé le 29 mars devant le CRTC, le mouvement de solidarité Musique bleue démontre, après analyse des programmations musicales francophones de CKOI, Énergie, Rouge FM et Rythme FM diffusées entre juin 2020 et mars 2021, que les « quatre plus importantes stations de radio commerciale du Québec ne diffusent en moyenne que 18 % d’interprètes femmes canadiennes ». Ce n’est pas même une sur cinq. Musique bleue, qui milite en faveur de la diversité musicale au Québec, en conclut « que l’imposition de quotas féminins de 50 % » et la mise en place d’un dispositif assurant une place aux artistes émergentes « sont les seuls moyens pour remédier à la situation dans un délai aussi rapide que la gravité de la situation le demande ».

Si Musique bleue prône globalement une plus grande diversité musicale y compris les diverses communautés ethniques de la société, ses fondateurs insistent sur la question des artistes féminines dans leur mémoire parce que « si on n’est même pas capables d’avoir une parité [hommes-femmes sur les ondes], je ne sais pas comment on pourra parvenir à une meilleure diversité musicale », justifie en entrevue Fannie Crépin, cofondatrice du mouvement. « On n’en revient même pas qu’on ait encore besoin d’insister sur la question de l’égalité des sexes » sur les ondes, déplore-t-elle.

Le problème, c’est que, depuis toujours, le CRTC a donné aux radiodiffuseurs la responsabilité de se réguler eux-mêmes sur la question de la diversité, et je ne suis pas convaincue que ce fut la bonne approche

 

Musique bleue joint sa voix à celles de l’ADISQ et de deux nouveaux organismes, ADVANCE (un « collectif de professionnels noirs de l’industrie musicale au Canada ») et la Alliance for Equity in the Music Industry (AEMI), pour que le CRTC crée en interne un comité chargé de se pencher sur la question de la diversité musicale en ondes pour faire bouger les radiodiffuseurs privés. « La musique que les jeunes écoutent ne passe pas à la radio — on constate une perte de découvrabilité de la musique locale », à telle enseigne que, selon Fannie Crépin, « les jeunes pensent que la musique québécoise, c’est du folk rock fait par des hommes blancs, parce que c’est ce qu’on nous présente en ce moment — et ce n’est pas que ce ne soit pas bon, c’est simplement que ça manque de diversité. »

Dans son mémoire, l’ADISQ arrive aux mêmes conclusions et demande à ce que la programmation musicale des radios commerciales devienne le « reflet fidèle de la société québécoise et de sa production musicale en accordant un espace plus important et représentatif à la musique des groupes visés par l’équité ». Le terme équité décrit ici « des communautés qui font face à des défis collectifs majeurs de participation à la société […] relativement à l’accès, aux occasions et aux ressources en raison du désavantage et de la discrimination auxquels ils sont confrontés ».

Changements structurels

 

Selon Keziah Myers, qui occupait un poste à la SOCAN avant de devenir directrice générale d’ADVANCE, la faible diversité musicale en ondes est le symptôme d’un problème de diversité généralisé dans l’industrie de la musique : « Ça prend un changement de mentalité » en son sein puisque le milieu « comporte encore de nombreux obstacles empêchant les Noirs d’y entrer ». Le collectif qu’elle dirige travaille à favoriser l’intégration des Noirs dans la structure de l’industrie parce « qu’il est important que des Noirs puissent aussi y occuper des postes clés. De cette manière, leur voix sera entendue, et la musique [diffusée en ondes] changera ».

« Cette question d’équité, il faut la regarder plus globalement que par le seul bout de la lorgnette de la diffusion » radiophonique, croit aussi la directrice générale de l’ADISQ, Solange Drouin. Car sur ce thème, les radiodiffuseurs auraient beau jeu de « renvoyer la balle aux producteurs et aux maisons de disques en disant : “Regardez-vous vous-même !” En produisez-vous assez », des musiciennes, des Autochtones, des Noirs ? « Il faut que cette roue commence à tourner avant d’arriver aux radios, il faut que l’on développe davantage de talents pour ensuite retourner voir les radios avec du contenu en leur disant : “Maintenant, agissez.” […] On est probablement tous un peu responsables de cette situation, et avant de jeter la pierre juste aux radios, il faudrait en faire l’analyse complète. »

L’analyse est l’un des chevaux de bataille de l’AEMI, qui propose que le CRTC force les radiodiffuseurs à récolter des statistiques fondées sur le sexe et la race des interprètes pour avoir un portrait plus net de la situation. « Pas seulement quels artistes jouent en ondes, mais aussi qui travaillent dans ces radios et le profil des auditoires », ajoute Allison Outhit, fondatrice de l’alliance. « On a besoin de tous les morceaux du puzzle pour comprendre ce qui se passe. […] Le problème, c’est que, depuis toujours, le CRTC a donné aux radiodiffuseurs la responsabilité de se réguler eux-mêmes sur la question de la diversité, et je ne suis pas convaincue que ce fut la bonne approche. Si tu laisses les radiodiffuseurs se gérer eux-mêmes, ils vont agir pour leurs profits. On ne devrait pas leur demander de faire respecter eux-mêmes les règles. »

Le bâton des quotas

 

Faut-il de nouvelles règles ? Le CRTC devrait-il imposer des quotas forçant les radiodiffuseurs à faire tourner plus de femmes, d’Autochtones et d’artistes issus des minorités ethniques du pays ? Dans l’industrie musicale, la question est débattue, mais le problème est d’abord structurel, estime Allison Outhit : « Je suis d’avis que les quotas peuvent être efficaces — à l’évidence, celui assurant aux artistes canadiens une place en ondes est un succès. Ensuite, je ne sais pas si les quotas doivent devenir une mesure permanente ou un outil servant à changer les mentalités » au sein des radiodiffuseurs privés.

Dans son mémoire, l’ADISQ rappelle que, outre les quotas de musique de variété francophone, « il n’existe actuellement aucune obligation réglementaire visant à assurer la diversité musicale sur les ondes des radios commerciales », une demande historique de l’association. Solange Drouin précise que « pour l’instant, on n’a pas choisi [de demander de nouveaux quotas], mais on souhaite que le CRTC formule clairement une attente de voir une augmentation », de la diversité en ondes. Idéalement, peut-on encore lire dans le mémoire, il faudrait « chercher à ce que le terrain balisé par des quotas s’ouvre à un reflet de la diversité encore plus large de notre société et de sa production musicale ».

Dans cette logique, l’ADISQ offre même d’inclure dans le calcul de quota de musique francophone les chansons interprétées dans des langues autochtones, une ouverture qui, en théorie, inciterait les radiodiffuseurs à inclure davantage d’artistes autochtones dans leurs programmations. « Les musiciens s’exprimant en langues autochtones disent qu’il n’y a pas de place pour eux, alors on propose qu’ils soient comptés comme des artistes francophones, explique Solange Drouin. On demande aussi au CRTC qu’il exige des radiodiffuseurs la démonstration qu’il y a eu une progression [sur cette question] sur la durée de leur licence. »

La même solution est aussi envisagée par ADVANCE et l’AEMI : non pas imposer de nouveaux quotas, mais redéfinir ceux qui existent déjà. « On n’aborde pas la question sur le plan d’un chiffre, d’un nouveau quota, mais plutôt sur le plan structurel, explique Keziah Myers ». Le quota du contenu canadien existe déjà ; pourquoi alors ne pas redéfinir ce contenu pour lui permettre d’être plus inclusif ? « Si ce changement de structure est appliqué, il se traduira par une meilleure représentation en ondes. Il faut mettre l’accent sur la structure. »

À voir en vidéo