Faire rayonner la musique haïtienne, méconnue dans le monde

Depuis des décennies, Claude Dauphin, musicologue et professeur émérite de l’UQAM, collectionne patiemment les partitions de musique savante venant d’Haïti, et de la Caraïbe en général. Et le fonds d’archives qu’il a ainsi créé a acquis depuis la reconnaissance de chercheurs provenant d’un peu partout dans le monde.
Ce vendredi, alors que s’achève le Mois de l’histoire des Noirs au Québec, une table ronde en ligne consacrée à la question, organisée par l’Observatoire interdisciplinaire de création et de recherche en musique, réunira des chercheurs, des compositeurs et des musiciens d’ici, d’Europe et des États-Unis.
Claude Dauphin est l’un des lauréats du Prix du Mois de l’histoire des Noirs cette année. Depuis un certain temps, il s’est donné comme mission de faire rayonner la musique savante haïtienne, méconnue dans le monde.
Héritages européens
« Il y en a en Haïti une école de musique de composition classique qui est peu connue, même des Haïtiens — sauf peut-être dans des milieux plus cultivés. Toute cette tradition, comme la littérature haïtienne qui est très célèbre, provint bien sûr des héritages européens, pour lesquels se pose néanmoins la question de la marque identitaire. On hérite des choses, parce qu’on n’a rien inventé, dans les Amériques en général. Nos cultures sont des cultures de mélange. Les créateurs sont toujours portés à vouloir atteindre une signature collective, même si la forme est héritée d’ailleurs », dit-il.
Dans la créolité, il y a cet apport inattendu de la culture africaine, parfois même de la culture amérindienne, en Amérique.
On hérite des choses, parce qu’on n’a rien inventé, dans les Amériques en général. Nos cultures sont des cultures de mélange.
Cette signature, elle se retrouve notamment, dit-il, dans les compositions de Carmen Brouard, musicienne et compositrice d’origine haïtienne formée à Paris qui est décédée à Montréal en 2005. Son œuvre maîtresse, Baron Lacroix, a été interprétée par l’Orchestre métropolitain en 2012. Carmen Brouard a d’ailleurs participé, avec Claude Dauphin notamment, à la fondation de la Société de recherche et de diffusion de la musique haïtienne.
Des partitions oubliées
Certains compositeurs haïtiens, même très prolifiques, sont demeurés dans l’ombre bien après leur mort. C’est le cas du musicien du tournant du XXe siècle Edmond Saintonge, que Claude Dauphin a découvert il y a 20 ans à travers des partitions qui lui ont été envoyées. « Cela m’est arrivé d’Haïti par le biais d’une personne qui connaissait le travail que je faisais. Je montais alors un centre de documentation de musique savante haïtienne. Il m’est donc arrivé d’Haïti, comme cela arrive assez régulièrement, un lot de partitions qui devaient faire facilement cinq kilos. Ces partitions étaient dans un état assez effarant d’altération. »
Il a fallu 20 ans à Claude Dauphin pour parcourir cette œuvre, page après page. « Je me suis vite rendu compte que j’étais devant une œuvre monumentale », dit-il. En 2019, dans le cadre d’une série de conférences qu’il a données en France et ici, il a fait jouer pour la première fois l’Ode à l’abolition de l’esclavage, que Saintonge avait composée en 1874, par un chœur de Montréal.
« À défaut de patrie, la musique pourrait être le seul facteur qui, à côté de la langue créole, offrirait aux Haïtiens de l’intérieur et de l’extérieur un même espace de reconnaissance et de rencontre, fût-il mythique », écrit-il dans l’ouvrage Histoire du style musical d’Haïti, paru aux éditions Mémoire d’encrier.
Car le chercheur ne s’intéresse pas seulement à la musique savante haïtienne, loin de là. Dans Histoire du style musical d’Haïti, il documente patiemment les différentes manifestations de musique populaire en Haïti, de celles qui accompagnent les rituels vaudous aux contes musicaux qui servent parfois d’éducation scolaire dans les régions où les enfants ne peuvent pas fréquenter l’école, en passant, bien sûr, par le konpa et la méringue.
On y découvre tous les outils courants utilisés pour produire de la musique en Haïti, là où les battoirs à linge deviennent des instruments accompagnant les complaintes du vaudou ou les cantiques chrétiens, et où on joue de la méringue avec une bouteille percutée à l’aide d’un caillou ou d’une baguette de bois. Dans certaines cérémonies vaudoues, c’est à la clochette d’église que l’on a recours, plutôt qu’aux tambours et aux danses.