Shreez, rappeur malgré lui

Le rappeur Shreez a la gouaille, une prosodie appuyée, une manière de mordre dans les mots avec l’accent typique du Montréalais aussi à l’aise en français qu’en créole.
Photo: Adil Boukind Le Devoir Le rappeur Shreez a la gouaille, une prosodie appuyée, une manière de mordre dans les mots avec l’accent typique du Montréalais aussi à l’aise en français qu’en créole.

C’est aujourd’hui l’une des voix les plus instantanément reconnaissables de la scène rap québécoise. Shreez et son complice Tizzo sont arrivés avec un son, une énergie et surtout un lexique qui frappe l’imaginaire en quelques syllabes : « Ça pue ! » « On fouette ! » Et maintenant : « On frap ! », titre du premier album de Shreez, qui a ce talent de désamorcer l’inquiétant à coups de phrases chocs. « C’est notre marque de commerce », reconnaît le rappeur, qui souffle un vent de fraîcheur et d’énergie sur la scène.

« C’est rare qu’un rappeur dise ça, mais, quand j’étais à l’école, le français, c’était la matière que je détestais le plus », avoue le musicien qui, sur son premier album, joue la carte de la franchise. Par exemple, il assure n’avoir « jamais eu les mains dans la drogue », rappe-t-il sur LVG 2Q en ouverture. Sur Partie, il affirme que, si on le cherche, ce n’est pas dans les clubs qu’on le trouvera : « C’est vrai que je suis plus quelqu’un qui préfère rester chez lui », souligne Shreez.

Sur le percutant single Plankton, il raconte qu’il est aussi un gars « gêné » qui « déteste l’attention » et que, plus jeune, il se « foutait de la musique » : « Honnêtement, je ne sais pas trop ce que j’aurais fait si je n’avais pas fait du rap ; j’ai toujours pensé que je me dirigerais en informatique », domaine dans lequel travaillent ses parents.

Ses plans de carrière ont changé avec la sortie de la chanson On fouette il y a deux ans, une collaboration avec Soft et Tizzo. Jusqu’alors, Shreez rappait pour le plaisir, sans même aspirer à en faire un métier. La chanson, rappelle-t-il, « je l’ai faite pour le frère de Tizzo » décédé peu avant cette session de studio. Devenue un succès underground instantané, On fouette a remporté l’an dernier le Prix de la chanson SOCAN et cumule aujourd’hui presque 1,2 million de visionnements sur YouTube. « Jamais je n’imaginais devenir un rappeur, mais quand on a vu la réaction [des fans], on a compris qu’on pouvait gagner notre vie avec ça », et cette petite famille a été incitée à fonder son propre label, Canicule Records.

Or, un an et demi après le lancement du mixtape La vie gratuite, tous les yeux sont rivés sur ce jeune talent, qui ne déçoit pas avec On frap, le plus excitant album rap québécois de l’année. Il a la gouaille, une prosodie appuyée, une manière de mordre dans les mots avec l’accent typique du Montréalais aussi à l’aise en français qu’en créole.

Puis il y a la forme. On frap marquera les esprits comme l’un des premiers albums de drill montréalais, propulsé par les singulières productions d’une nouvelle génération de beatmakers nommés Alain, Alex DaGr8, Diceplay, DiceFly ou encore RKT Beat. « Lui, RKT Beat, c’est un p’tit gars de genre 15 ans que j’ai connu sur Instagram »et qui signe la musique de la rutilanteLoud, un succès assuré.

Photo: Adil Boukind Le Devoir Le rappeur Shreez lance son premier album

Évolution souterraine du son trap dominant depuis plusieurs années, le drill est né il y a dix ans dans le South Side de Chicago, puis a été récupéré par une nouvelle génération de rappeurs britanniques qui reconnaissent dans ses longues traînes de basses et les motifs de cymbales, secs et rapides comme le son d’une mitraillette, une parenté esthétique avec le grime. Un certain sens du danger aussi, hérité de sa ville natale, Chicago, où la criminalité est notoirement élevée et résonne dans le travail de ses rappeurs : le drill est une musique d’anticipation, comme la version lugubre du trap. « C’est très sombre, comme genre, ce n’est pas de la musique à écouter avant d’aller se coucher », glisse Shreez, qui affirme avoir voulu « rendre ce son plus mélodique » sur On frap.

Ces dernières années ont donné mauvaise presse au UK drill, que les autorités britanniques associent au crime organisé, au point d’en condamner la diffusion. « En vérité, tu peux parler de n’importe quoi sur ce genre de rythmes là. T’es pas obligé de parler de guns ou de violence pour faire du drill. »

Pour sa part, le Montréalais fait une magistrale démonstration de la force et de l’inventivité de cette forme musicale tout en la soulageant de son stigmate de musique violente. Sur On frap, Shreez parle entre autres de ses aspirations dans le métier, de son amour du « buzz » (le cannabis) et de sa famille, comme sur Diamant : « Si je le fais c’est pas juste pour moi, c’pour mes parents / C’est juste que j’suis motivé, c’est pas du talent. »

Shreez compare même le drill au rara, la musique rituelle haïtienne : « Avant d’apprendre que ce nouveau son s’appelait le drill, moi, j’appelais ça du rara ! C’est à cause des percussions, tellement puissantes… »

On frap paraît vendredi sur Canicule Records.