Le prisme élargi du trio Le Couleur

Il est plein de vie, cet album, grouillant au rythme des batteries de Steeven Chouinard, de la basse de Patrick Gosselin et de la voix douce de Laurence Giroux-Do.
Photo: Adil Boukind Le Devoir Il est plein de vie, cet album, grouillant au rythme des batteries de Steeven Chouinard, de la basse de Patrick Gosselin et de la voix douce de Laurence Giroux-Do.

Il était minuit moins une, assure Steeven Chouinard, du trio Le Couleur : « Ondevait lancer l’album Concorde le 18 avril, pile pour le Record Store Day. [Lorsque le confinement a été imposé,] notre équipe était à deux ou trois jours de mettre en branle la campagne de pub, les affiches, les autobus, etc. On a appelé l’imprimeur : arrêtez tout ! Stoppez les presses ! », raconte-t-il en riant. « On a été chanceux de pouvoir le reporter — pauvres petits bands indie comme nous qui ont dû lancer un disque pendant la pandémie… » Sa compagne, la compositrice et chanteuse Laurence Giroux-Do, rappelle que Le Couleur avait pris l’habitude de lancer ses albums au printemps : « Finalement, je pense que ça fera un bon disque d’automne. »

Laurence a raison. Il est bon, ce nouvel album du groupe, qui a cherché à sortir des sentiers synthpop battus avec les albums Origami (2010) et P.O.P. (2016), et la poignée de mini-albums parus entre les deux. « Il y a plus de guitares que d’habitude », relève Steeven. Laurence va même jusqu’à dire que Concorde est leur disque « rock », mais c’est pousser la note un peu trop fort… « Ouin… Disons alors disco-funk-rock », un son en tout cas plus naturel qu’auparavant, précise-t-elle.

Moins fluorescent, plus tamisé, le disque permet au trio d’explorer le thème de la mort à travers le mythe du Concorde et de l’écrasement du 25 juillet 2000, peu après le décollage de l’aéroport Charles-de-Gaulle. « Ma fascination du moment, confie Laurence. Je lie l’avion au thème de la mort . J’approche de mes 40 ans ; en vieillissant, je sens que je côtoie un peu plus la mort autour de moi, j’avais envie d’explorer ça », avec malgré tout de belles et parfois pimpantes chansons pop. Steeven : « ABBA est devenu multimillionnaire en chantant des textes sombres sur des mélodies super joyeuses ; pas besoin de faire du folk dark pour parler de la mort… »

À preuve, il est plein de vie, ce Concorde, grouillant au rythme des batteries de Steeven, de la basse de Patrick Gosselin ; la voix douce de Laurence qui se pose aisément sur ces grooves rappelant ceux de Stereolab et d’Air, avec une touche du Gainsbourg de la fin des années 1960, ce son de basse Hofner qui donne vie à des chansons comme l’instrumentale Vol d’après-midi. Le son des orgues aussi, joués par Sheenah Ko, de Besnard Lakes — elle vient d’ailleurs de lancer l’album Connection, enregistré live avec des musiciens du Centre d’expérimentation musicale de Saguenay —, « une fille très psychédélique, autant dans sa manière de jouer que dans sa propre personne, elle amène quelque chose d’unique à nos concerts », dit Laurence.

Un groupe vivant

 

Le Couleur s’ouvre au monde et à de nouvelles sonorités, ça saute aux oreilles. « C’est vivant, un band qui joue ensemble, insiste Steeven. Je n’avais pas envie d’un album de réalisateur, moi assis dans mon studio qui programme des affaires à l’ordinateur pour finalement décider qu’on ajouterait de la vraie basse ici et là, et Pat qui joue la basse sur ce que j’ai déjà composé… On voulait laisser tout le monde jouer, avec leurs défauts et leurs tics — ça ne me tentait pas de réentendre mes mêmes changements d’accords. »

À bord de Concorde, une pléiade d’amis et de collaborateurs, le trio Paupières aux chœurs, Louis-Joseph Cliche de Beat Market, Dan Thouin, Valence, Jean-Nicolas Doss de Wizaard (« un petit band psychédélique très bon », assure Steeven) et Paul Hammer.

« Paul, c’est le fils de Jan Hammer — un des membres du Mahavishnu Orchestra —, le gars qui a fait la musique de Miami Vice, tu vois ? Paul est un gars de New York qu’on a rencontré pendant une tournée, raconte Steeven. On est devenus amis. […] Je l’ai invité à jouer de la guitare et des claviers, lui ai demandé d’apporter des synthés. Son père a un musée de synthétiseurs, il en possède certains des plus chers au monde. Paul en a apporté tout plein, on a tout enregistré. Ça, et sa pédale de guitare qui fait une sorte de vibrato lo-fi, c’est le son qui a scellé l’album, l’élément central. »

« Tu sais, enchaîne Laurence, ça fait 12 ans qu’on est ensemble, Pat, Steeven et moi, avec Le Couleur. C’est comme un vieux couple : on avait besoin de trouver une manière de raviver la flamme, alors on a ouvert le couple », aux idées des musiciens invités et à leurs influences musicales. « Et puis, on pensait à la prochaine tournée, en essayant d’enregistrer des chansons qui se transposeraient bien sur scène. » Ça aussi, ça attendra : Le Couleur a joué au FME, à La petite affaire du Festif !, puis donnera un concert de lancement jeudi au Ministère. Pour la suite, il faudra être patient. « On a loué une maison à la campagne pour s’accorder une semaine de création en studio, annonce Steeven. On revient à ce qu’on faisait à nos débuts, mais avec la maturité acquise au fil des ans. » À suivre.

Concorde du trio Le Couleur est paru sur Lisbon Lux Records, le 11 septembre.

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