Dans les coulisses de l’intégrale Beethoven

François Goupil,  qui supervise  la captation visuelle et sonore de  ce projet de l’Orchestre Métropolitain, en discussion avec son équipe et le chef Yannick Nézet-Séguin  (à gauche).
Jacques Nadeau Le Devoir François Goupil, qui supervise la captation visuelle et sonore de ce projet de l’Orchestre Métropolitain, en discussion avec son équipe et le chef Yannick Nézet-Séguin (à gauche).

Comment se fabriquent, à la salle Bourgie, les vidéos des symphonies de Beethoven qui vont être diffusées à partir du vendredi 31 juillet sur la plateforme « DG Stage » ? Le Devoir est allé en coulisses et s’est entretenu avec François Goupil, qui supervise la captation visuelle et sonore de ce projet.

« Une avant la lettre D », demande Yannick Nézet-Séguin à ses musiciens. « Plan 68, caméra 1 », traduit immédiatement en arrière-scène l’équipe en lien avec les quatre cameramans. Mardi matin, l’Orchestre Métropolitain travaille sur la « Marche funèbre » de la Symphonie héroïque, au programme de la quatrième semaine de diffusion.

Alors que les réglages sonores et de positionnement des caméras à la salle Bourgie ont été fixés assez rapidement et n’ont guère changé depuis le premier jour, la préparation, celle qui permet instantanément de convertir le numéro de mesure dans la partition en numéro de plan et caméra, a été optimisée. « Tout est écrit à l’avance dans la partition, car deux des caméras doivent se déplacer beaucoup. Nous savons d’emblée quelle caméra va montrer quoi à quel moment, et ce degré de préparation supplémentaire aide les cameramans à faire leur travail », nous dit François Goupil.

Son adjoint, Benoit Guérin, qui pilote les changements de plans avec son iPhone, nous fait remarquer que ses cameramans ont déjà tous filmé de la musique classique.

Rappelons que l’OM s’est lancé dans cette production sans avoir de débouchés. Quels en étaient les prérequis techniques ? « Les équipements sont ceux utilisés à la Maison symphonique pour les captations de l’OSM et qui vont en ondes à Radio-Canada. Nous n’avions pas d’inquiétudes quant à la qualité de l’image et du son. Nous utilisons huit caméras, dont quatre avec cameraman. »

La COVID a changé peu de choses, juste que « chaque cameraman a été responsable de l’installation de son matériel, alors qu’en général, cela se fait en équipe », nous dit François Goupil. Pour l’équipement audio aussi, il s’est occupé, seul, des microphones et du câblage.

En ce qui concerne l’aspect visuel, alors que, normalement, dans un plan, on peut montrer plusieurs musiciens ensemble, la distanciation rend les choses plus difficiles. « Si l’on fait un plan des bois, il y a facilement moyen de montrer toute la section. Ici, on va avoir des musiciens séparés, beaucoup de plancher, ce qu’on évite de montrer en général parce que c’est ennuyeux à regarder. Il a donc fallu adapter nos angles. Pour les bois, on y va latéralement pour montrer plusieurs musiciens dans une seule image. » Il y a de ce fait quelques enjeux de netteté, mais « cela peut devenir artistiquement intéressant », note François Goupil.

Ce qui était clair d’emblée, c’était la facture visuelle. « Nous voulions montrer que nous étions à la salle Bourgie, nous ne nous gênons pas pour montrer les vitraux. Donc, nous avons des plans larges avec l’orchestre au sol, les vitraux sur les murs. »

« Nous avons aussi décidé au départ de ne pas faire le ménage de la salle. Nous sommes en session d’enregistrement et pas en concert : il y a des coffres d’instruments de l’orchestre en périphérie de la salle et des chaises empilées dans les coins. » Bref, une ambiance de studio véhiculant l’idée de « sessions de travail » et « des contraintes de la COVID ».

La manière de filmer documente ce travail, naturellement, sans caméras girafes tournoyantes : « Ce type de dispositif est un choix assez dérangeant pour les musiciens et c’est un style de tournage que je ne préconise pas. J’aime être discret plutôt que d’imposer des mouvements de caméras qui relèvent du spectacle », synthétise François Goupil.

Le défi sonore

 

En assistant dans la salle à la captation des Symphonies nos 2 et 4, nous avions été saisis par le niveau très élevé de réverbération. François Goupil concède que, « quand on écoute avec nos oreilles, c’est un peu spécial ». « Dans une salle de concert, les fauteuils absorbent une partie de la réverbération, ce qui rend le son plus net. Là, tous les fauteuils ont été rangés. »

Mais la technique peut pallier le problème. « Normalement, on a une paire de micros dite principale, suspendue plus ou moins au-dessus du chef. Elle capte la globalité du son. Dans ce cas précis, les microphones d’appoint, c’est-à-dire ceux à proximité immédiate des musiciens, servent bien davantage dans le mix, car on a un défaut de précision sur les sections. »

Photo: Jacques Nadeau Le Devoir François Goupil

C’était là le grand défi initial dans les réglages réalisés étroitement avec le chef. « À l’écoute des prises, Yannick Nézet-Séguin a noté qu’il fallait utiliser les microphones d’appoint pour obtenir la précision dont on avait besoin, surtout sur les cordes. Le problème de la précision est qu’on se met à entendre des individus et non pas la section. C’est un équilibre difficile à obtenir. Avoir le son d’ensemble avec un bon degré de précision était vraiment la difficulté majeure. »

L’autre défi acoustique était le temps mis par le son à se propager dans l’espace. « Les cuivres, au fond, entendent en retard et tentent d’anticiper leur jeu. C’est donc plus difficile pour les musiciens de jouer en synchronisme. » Par contre, François Goupil a découvert un avantage dont il profite rarement : « Souvent dans les microphones d’appoint qui couvrent les cordes et les bois, par exemple à la Maison symphonique, on a un important coulage des cuivres quand ceux-ci se mettent à jouer, alors qu’ici, il y a très peu de contaminations sonores, ce qui n’est pas désagréable. Nous arrivons à bien maîtriser la réverbération et sommes surpris de ce que nous arrivons à obtenir avec les microphones. »

Plus que du réchauffement

 

Croisé dans les coulisses avant d’aller répéter, Yannick Nézet-Séguin nous apprend que dans la réalisation du produit final pour DG, tout part d’un « audio lock », une bande sonore qu’il approuve. La vidéo est ensuite calée sur cela, tout ayant été filmé et préservé. Trois jours pleins ont été alloués à chaque paire de symphonies. Le chef nous révèle aussi que le finale de la 4e Symphonie, objet de la première semaine de diffusion, vendredi 31 juillet, a été entièrement refait il y a quelques jours. « L’orchestre s’est réchauffé », lâche-t-il.

À son retour à la pause, on sent que c’est bien plus que du « réchauffement ». Le musicien ressent un bonheur intense et profond. Comme si cette immersion beethovénienne était un cadeau, un don du ciel, à un moment bienvenu. Il pense à l’orchestre et aux concerts qui viendront un jour. On parlede la valeur de l’unicité d’expérience et des images de répétitions. « Il y a de quoi faire un making of ! » songe-t-il.

François Goupil pense aussi aux lendemains : « Si on avait su que DG était dans le coup, on aurait grossi l’équipe en postproduction [élagage audio, redécoupage, colorisation] et on se serait donné un plus de temps. Avec Benoit Guérin, avec qui je travaille en tandem sur la postproduction, on ne dormira pas beaucoup jusqu’à ce que le projet soit terminé. »

Plusieurs nuits blanches s’annoncent. Pour la bonne cause.

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