Se jouer de la pandémie

Depuis lundi dernier, l’Orchestre Métropolitain a investi le parterre de la salle Bourgie pour jouer et enregistrer les symphonies nos 1 à 8 de Beethoven sous la direction de Yannick Nézet-Séguin. Nous avons pu les observer en train de travailler les symphonies nos 2 et 4, mercredi après-midi.
« Ça fait du bien, c’est vraiment le bonheur » ! Depuis deux mois, Luc Chaput, directeur de production et des tournées de l’Orchestre Métropolitain, qui lâche ce cri du cœur, est en contact régulier avec Isolde Lagacé, directrice de la salle Bourgie pour que quelque chose puisse se passer lorsque le temps serait venu. Il n’avait pas vraiment idée que le projet dans lequel Yannick Nézet-Séguin lancerait ses troupes ne serait pas une de ces demi-mesures musicales née des contraintes sanitaires et de la nécessaire distanciation scénique, mais un pari un peu fou : mettre un orchestre dans une salle et enregistrer les symphonies de Beethoven.
« On n’a jamais joué ainsi. Nous n’entendons pas de la même façon, mais c’est à nous de voir ce que nous pouvons y gagner et même ce qui peut nous profiter lorsque nous jouerons de nouveau dans des conditions normales », nous dit la violoniste solo Yukari Cousineau. « Nous prenons les devants, nous prenons les risques », avoue Martin Hudon, directeur du marketing, celui qui cogne aux portes pour négocier une diffusion « au Québec ou à l’international » des captations vidéo et audio effectuées lors de ces quatre blocs de trois jours, à raison de deux symphonies par bloc. « Nous ne savons pas ce qui se passera en septembre. D’ici là, nous aurons un produit et nous avons désormais une idée que ce sera un superbe produit. »
Un Beethoven résonnant
Arrivée dans la salle Bourgie. Des flèches indiquent l’escalier qui permet de monter et celui qui descend. Il ne faut surtout pas se hasarder au parterre : seuls les musiciens y sont admis. Au balcon, les premières notes refroidissent l’enthousiasme. Le son très réverbérant tourne et colore un peu. Cela prendra un artiste à la technique et en postproduction comme François Goupil, familier de l’OM, pour domestiquer tout cela. La 2e Symphonie, après la pause, montre qu’il y a un très beau coup à jouer : la mise en valeur des vents par l’acoustique fait ressortir la dimension révolutionnaire, « française », de Beethoven. Par ailleurs les salles réverbérantes sont en général de bons studios d’enregistrement : l’étiquette japonaise Denon a assis sa réputation en réalisant ses captations dans ce type de lieu.
Malgré l’espace entre les musiciens, l’orchestre joue bel et bien comme on le connaît : en équipe. « L’acoustique réverbérante ne nous facilite pas la tâche, mais rendra le son plus beau encore » estime le premier violoncelle Christopher Best qui souligne que l’exercice « change la dynamique entre collègues, car il augmente la responsabilité individuelle ». « Nous nous sommes vite adaptés », remarque M. Best, à l’image de son collègue bassoniste Michel Bettez un peu perdu, au début, d’entendre les cordes « dans un certain flou ».
« Yannick avait raison de dire : Il faut le faire, on verra après » analyse le directeur de production Luc Chaput qui, depuis lundi, diffuse son expérience à ses homologues de l’Orchestre symphonique de Québec et d’ailleurs au Canada : « Il faut être vigilants. Nous en sommes fiers et partageons l’information qui peut être utile. »
M. Chaput qui a été en relation avec les médecins de la CNESST rédacteurs du guide des bonnes pratiques en la matière, paru lundi, a été avant tout surpris de la capacité et de la rapidité d’adaptation des musiciens à toutes les mesures sanitaires et sur le plan musical. « Nous sommes en dehors de notre zone de confort, mais le désir était vraiment très fort. »
Faire et voir ensuite… Cette grande épopée, y compris la vidéo, est entièrement produite et financée par le Métropolitain. Dans l’esprit du chef, il fallait agir d’abord et laisser les équipes compétentes ficeler le financement à partir des aides admissibles, de l’appui de commanditaires et de diffuseurs attirés par cette première post-COVID en Amérique du Nord. Le Beethoven de Yannick Nézet-Séguin est à l’image de cette avancée au forceps : il ne lâche rien. En d’autres termes, il ne s’est pas plié à l’acoustique pour ralentir ou s’adoucir. « J’ai décidé cela sur le podium », nous dit le chef. « C’est bien intéressant, le son ici. Chacun a son espace, se responsabilise à des antennes plus grandes. ».
Quant au fait de mettre la charrue avant les bœufs, Yannick Nézet-Séguin souligne qu’il « y a toujours eu dans la musique classique cette lutte entre le besoin de planification et cette envie de jouer la musique qui nous inspire dans le moment ». Il prend donc son parti des contraintes et ne craint pas d’avoir été trop ambitieux : « Conseil d’administration, équipe, musiciens : nous sommes tous sur la même ligne de pensée. Cette réactivité a toujours été notre force. Nous avons moins de certitudes acquises et une facilité d’adaptation ». Nous pourrons juger des résultats de ce bain de jouvence musical au cours de l’été.