L’orchestre à effectif réduit: nouveau genre ou impasse?

Le grand retour de l’Orchestre de Paris annoncé à la Philharmonie de Paris, le 27 mai, s’est soldé par la vision de quelques musiciens perdus sur scène jouant «Siegfried-Idyll» de Wagner en version de chambre.
Photo: Francois Guillot Agence France-Presse Le grand retour de l’Orchestre de Paris annoncé à la Philharmonie de Paris, le 27 mai, s’est soldé par la vision de quelques musiciens perdus sur scène jouant «Siegfried-Idyll» de Wagner en version de chambre.

Alors que les orchestres symphoniques reprennent possession de leurs scènes respectives, dans différents pays se dessine un monde très curieux qui pose de nombreuses interrogations.

La scène dans Fantasia de Walt Disney est bien connue. Des hippopotames font des pointes sur la Danse des heures de Ponchielli. Distorsion entre le format de l’animal et la légèreté de la musique : effet comique. Le contexte est nettement moins drôle, mais l’analogie vient à l’esprit lorsque le grand retour de l’Orchestre de Paris annoncé à la Philharmonie de Paris, le 27 mai, se solde par la vision de quelques musiciens perdus sur scène jouant Siegfried-Idyll de Wagner en version de chambre et le sextuor de Capriccio de Strauss. De même lorsque l’OSM, dont la stratégie, à la mi-avril, était encore de revenir en entier devant une salle pleine sinon rien, élabore avec la Maison symphonique et la Place des Arts un « rigoureux protocole », afin qu’une douzaine de cordes puissent investir la scène en extrême urgence le 4 juin pour jouer le Divertimento K. 136 de Mozart. Mais que font-ils donc là qu’un orchestre de chambre, de type I Musici ou Les Violons du Roy, voire un groupe de musiciens, tel « Renaud Capuçon et ses amis » en France, ne saurait proposer ?

En deux rendez-vous avec son chef Kirill Petrenko, le Philharmonique de Berlin a joué Fratres de Pärt, Ramifications de Ligeti, l’Adagio de Barber, la 1re Musique de chambre de Paul Hindemith,Nuit transfigurée de Schoenberg et des réductions d’œuvres de Mahler et de Debussy. Simon Rattle a dirigé jeudi 4 juin l’Orchestre de la Radio bavaroise dans la Tallis Fantasia de Vaughan Williams et la Sérénade pour 13 instruments à vent de Mozart. Cette sérénade va redevenir très populaire ces prochains temps. Même avec l’Orchestre de Taïwan, où la COVID-19 n’a pas fait de ravages, le concert de retour s’est limité à la Sérénade de Mozart et à celle de Dvorák.

Kent Nagano : grand retour à Paris

Répondre aux questions « que font-ils là ? » et « à quoi bon ? » fait ressurgir une réflexion soulevée récemment en aparté par un observateur du métier : « On entend partout que le besoin profond d’art doit être satisfait, alors qu’il s’agit en premier lieu du besoin primaire des artistes d’engranger des revenus et d’entendre des applaudissements. » La prolongation pragmatique de cette pensée abrasive est que les retours que nous voyons présentement tiennent avant tout du besoin d’exister et, pour les institutions, celui de se rappeler au bon souvenir du public, des commanditaires et des subventionneurs.

Ces compromis ne comblent guère un besoin quelconque chez l’auditoire, puisqu’ils se font par un canal, l’Internet, qui regorge de prestations symphoniques glorieuses et de propositions chambristes adéquates. À moins que le produit visuel ne soit formaté pour cela. C’est le petit miracle réussi samedi 6 juin par Kent Nagano et l’Orchestre de Radio France à Paris, un cérémonial musical fascinant nourri d’œuvres à effectifs réduits de Britten, de Pärt et de Richard Strauss, où à aucun moment l’absence de public ne se fait sentir. L’étrange mais vraie dramaturgie donne raison à Hervé Boissière, directeur de Mezzo et de Medici.tv, qui, interrogé par Le Devoir, ne se montrait « pas inquiet de la belle évolution du format huis clos dans les semaines à venir ». Ce moment, que l’on peut voir sur Arte Concert, est construit pour la vidéo (seule la section applaudissements à la fin est ratée), aidé par les moyens de la télévision et de la radio publiques françaises.

Ou bien on se rend compte, comme Radio France et Nagano, qu’on est face à un nouveau genre ou le concept du retour en scène pour remonter le moral des musiciens dans des compromis de répertoire va virer à l’impasse. C’est pour cela que voir le Philharmonique de Vienne, à l’aide d’une étude aux coins coupés très ronds, réduire la distanciation et revenir, dimanche 7 juin, avec Daniel Barenboim dans le 27e Concerto de Mozart et la 5e Symphonie de Beethoven pose des questions intéressantes. Que font-ils au fond qui ne se fait pas dans un avion ? Ils sont testés tous les quatre jours et visent un objectif commun dans un pays qui compte désormais 350 cas. Poussons un peu plus loin : à 68, ils jouent devant 100 personnes dans une salle qui peut en contenir 1900. Que deviennent ces « normes » valides le mois dernier quand nous sommes quotidiennement submergés d’images de manifestations partout dans le monde ?

Ces questions légitiment la demande de l’association des musiciens de Grande-Bretagne d’une révision de la règle des deux mètres de distance sur scène. Le gouvernement à Londres s’est dit ouvert. L’enjeu est de placer deux cordes par pupitre et d’augmenter l’effectif. Si les orchestres symphoniques ne peuvent pas ou ne trouvent pas un moyen de jouer de la musique symphonique, c’est-à-dire de mettre en avant leur caractère distinctif, ou qu’ils ne s’adaptent pas vraiment à la nouvelle donne audiovisuelle, cela va peut-être occuper temporairement leur personnel et signaler à tous qu’ils existent encore, mais ça risque de mal aller…

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